Francophone Literature

L’Entre-Deux du Réel : le jeu oscillant de l’hésitation todorovienne et de la déconstruction derridienne dans le fantastique français du XIXe siècle

« Le surnaturel n’est pas autre chose que ce qui nous demeure voilé »

Guy de Maupassant « Lettre d’un fou » (1885)

Le fantastique français du XIXe siècle se distingue comme une hésitation nébuleuse et labyrinthique entre deux sphères contradictoires, un dédale narratif brumeux où le lecteur oscille indéfiniment entre le surnaturel et le réel, pris dans des cercles envoûtants d’ambiguïte dont il ne peut pas s’échapper. Chaque méandre de ce labyrinthe désorientant engendre un va-et-vient incessant entre les frontières du tangible et de l’intangible, du visible et de l’invisible, du présent et de l’absent, dissolvant leurs limites pour orchestrer une profonde perturbation de la perception humaine. Dans ce champ de rupture métaphysique, le surnaturel n’est pas simplement une anomalie qui perturbe une réalité autrement cohérente, mais un fil imperceptible qui s’entrelace avec sa trame, dénouant ses dualismes fondamentaux pour démêler la fluidité insaisissable de tout ce qui prétend constituer le réel. Ces espaces narratifs liminaux, où les oppositions se décomposent et se recomposent, révèlent le fantastique comme un déconstruction du « réel » en tant qu’absolu. Plutôt qu’un édifice solide, la réalité s’expose comme un processus de déplacement perpétuel, un va-et-vient entre des forces dissonantes qui dévoilent une incertitude irréductible. 

Dans La Vénus d’Ille de Mérimée, cette ambiguïté métaphysique trouve son origine dans l’extérieur : une statue, objet matériel, transcende son inertie en assumant une vitalité inexplicable, bouleversant les distinctions entre l’animé et l’inanimé et supplantant le privilège ontologique de l’humain. À l’inverse, dans Le Horla de Maupassant, cette même ambiguïté se répercute dans l’intériorité de la psyché : l’invisible envahit la conscience du narrateur, érodant les fondements de la perception en brouillant les contours entre présence et absence. Que cette subversion fantastique s’exprime de manière externe ou interne, les deux récits convergent dans les zones liminales où la réalité vacille, incarnant l’« hésitation » todorovienne tout en évoquant la « différance » derridienne. Ces deux concepts théoriques s’entrelacent dans l’indétermination fantastique : le premier suspend la résolution tandis que le second prolonge le sens dans un jeu infini de différé. Ensemble, ces textes exemplaires cartographient les mécanismes complémentaires de la rupture fantastique : d’un côté, vers l’extériorité visible, et de l’autre, vers l’intériorité invisible, tous deux convergeant dans l’entre-deux instable du réel pour démasquer sa nature inéluctablement différée, insaisissable et ambiguë. En construisant une mimésis initiale de l’univers familier, pour ensuite la déconstruire à travers des disjonctions narratives, des ambiguïtés sémantiques et des ruptures ontologiques, La Vénus d’Ille et Le Horla fusionnent finement l’hésitation todorovienne avec la différance derridienne pour interroger les structures mêmes de la réalité. Ces récits manifestent le fantastique français du XIXe siècle non seulement comme un genre littéraire mais aussi comme une entreprise métaphysique : une exploration des failles de la perception humaine et une dévoilement du fait que « le surnaturel n’est pas autre chose que ce qui nous demeure voilé » (Maupassant, « Lettre d’un fou » 2). Le fantastique se révèle comme un miroir où la réalité se réfléchit et se fracture, dévoilant les contours vacillants et éphémères de son essence insaisissable.

La théorisation magistrale du fantastique de Tzvetan Todorov situe le genre à la frontière précaire entre le naturel et le surnaturel, un espace où les certitudes vacillent. Selon Todorov, le « cœur du fantastique » réside dans un acte d’hésitation partagé tant par les personnages que par les lecteurs, confrontés à des phénomènes apparemment surnaturels sans résolution définitive. Cette hésitation les oblige à osciller entre deux interprétations : l’événement est-il « le fruit de l’imagination ou le résultat d’une illusion », ou plutôt révèle-t-il le réel ? (Todorov 165). Todorov identifie trois conditions essentielles pour que cette hésitation se déploie véritablement dans l’ordre du fantastique. D’abord, l’événement surnaturel doit survenir dans « un monde qui est bien le nôtre », tout en défiant « les lois de ce même monde familier » (Todorov 29). Deuxièmement, le lecteur doit « s’identifie au personnage principal », partageant son incertitude quant à la nature de l’événement étrange (Todorov 165). Enfin, cette hésitation ne doit céder ni à une interprétation purement allégorique ni à une lecture strictement poétique mais exige une lecture littérale : si les événements sont rationalisés « par les lois de la raison », alors l’œuvre appartient à « l’étrange » ; s’ils sont acceptés comme surnaturels sans provoquer « aucune réaction particulière ni chez les personnages, ni chez le lecteur implicite », l’œuvre se situe dans le registre du « merveilleux » (Todorov 51-52, 59). Ainsi, le fantastique « ne dure que le temps d’une hésitation », car cette hésitation constitue son essence même ; il s’épanouit précisément dans l’indétermination, dans cet espace où le sens est suspendu, où naturel et surnaturel s’effleurent sans jamais se résoudre pleinement (Todorov 46). En refusant la résolution, le fantastique maintient le lecteur dans une tension constante, un seuil liminal qui permet « de franchir certaines limites inaccessibles tant qu’on n’a pas recours à lui » (Todorov 166). Cet entre-deux d’incertitude pousse le lecteur, comme le protagoniste, à errer dans un monde où le signification demeure constamment différée, jamais pleinement accessible. Ainsi, le fantastique, par sa nature même, résonne d’une profonde affinité avec la différance derridienne, ce glissement incessant entre signifiant et signifié, entre présence et absence, qui vacille également dans l’entre-deux du existence.

Dans le fantastique, le surnaturel ne se limite pas à une simple bouleversement du réel: il révèle, par son hésitation perpétuelle, son ambiguïté intrinsèque, ambiguïté qui constitue, selon Derrida, le fondement même de tout système de signification. Dans La Voix et le phénomène, Derrida explique que la différance « n’est ni un mot ni un concept » mais un jeu complexe de « l’opposition, de l’articulation, de la différence » (La Voix 123) qui génère « par ce qui n’est pas simplement une activité, ces différences, ces effets de différence » (Marges De La Philosophie 12). À l’instar de l’hésitation todorovienne, qui oscille entre le réel et l’irréel, la différance s’inscrit dans un mouvement incessant entre présence et absence, refusant toute fixité interprétative et reconfigurant le sens dans un espace liminal et intermédiaire. De manière analogue, le caractère perpétuel et ambigu de la déconstruction derridienne constitue également un « ébranlement » métaphysique : « On pourrait appeler jeu l’absence du signifié transcendantal comme illimitation du jeu, c’est-à-dire comme ébranlement de l’onto-théologie et de la métaphysique de la présence » (De la grammatologie 73). Cette notion de différance, telle que Derrida la formule, « rend possible l’opposition de la présence et de l’absence », opérant comme une « contestation de la métaphysique elle-même » (De la grammatologie 69). Paradoxalement, elle « produit ce qu’elle interdit, rend possible cela même qu’elle rend impossible », générant une dynamique où sens et non-sens coexistent dans une tension irréductible, rejoignant le fantastique dans sa capacité à subvertir les certitudes (De la grammatologie 206). Dans « Théories et lectures du fantastique », Pierre Lévesque identifie la « séduction textuelle » du fantastique dans ce même jeu d’instabilité. Il observe que « l’érotisme et le fantastique voisinent, car ils sont nourris tous les deux par le jeu de la présence et de l’absence, ce que Barthes appelle « apparition-disparition » (Lévesque 8). Cette dynamique constitue l’essence même du fantastique, qui existe selon lui « dans le suspens du sens … dans l’attente du rétablissement d’un monde où l’ordre règne » (Lévesque 9). Or, comme dans la différance derridienne, cette attente reste irrésolue, car elle est inséparable de sa propre liminalité, d’un va-et-vient incessant et d’une ambiguïté continue. Ainsi, le fantastique et la déconstruction partagent le même pouvoir subversif : leur dynamique dualiste d’« apparition-disparition » engendre un effet déstabilisateur qui dissout les frontières métaphysiques. Ils présentent l’existence non pas comme une réalité stable et définie, mais comme un « entre-deux » éphémère où l’incertitude et l’ambiguïté deviennent les fils qui tissent la trame du réel.

En tant que subversion des cadres rationnels de la pensée, le mouvement intérieur du fantastique se manifeste fréquemment sous la forme de la folie, où ni le protagoniste ni le lecteur ne parviennent à délimiter les lignes entre l’illusion et la réalité, entre l’hallucination et l’activité paranormale. Dans l’hésitation dualiste paradigmatique de Maupassant, ballant entre délire et raison, la narration à la première personne devient un vecteur de cette déstabilisation, où la rationalité s’ébranle face à l’inexplicable et où l’identité se dédouble et se morcelle dans un brouillard d’incertitude ontologique. Le format du journal intime chez Le Horla construit une subjectivité chancelante enchâssée dans une temporalité linéaire qui, une fois fragmentée par des ellipses et des disjonctions narratives, plonge le lecteur dans la réalité disloquée du narrateur. Comme le souligne Todorov, « le sujet « je » possède une charge sémantique appartenant à tous et à chacun simultanément », ce qui incite le lecteur à s’identifier au narrateur et à partager son expérience avec l’entité mystérieux, imperméable et terrifiante du Horla (Todorov 70). Avant même l’entrelacement présence/absence incarné par le Horla, le journal lui-même ébranle les frontières qui délimitent le moi du narrateur. Bien qu’il semble initialement instaurer un ordre chronologique, sa spatiotemporalité disloquée déconcerte la stabilité de sa présence subjective. Dans L’Écriture et la différence, Derrida met en lumière que l’écriture, au lieu d’affirmer la présence de l’écrivain, joue paradoxalement son absence. En s’inscrivant, l’écrivain se dédouble, projetant son être à la fois dans le passé et le présent, et, par cet acte même, consacre sa disparition : « Dès l’origine, dans le “présent” de leur première impression, [les traces d’écriture] sont constituées par la double force de répétition et d’effacement, de lisibilité et d’illisibilité … une multiplicité d’instances ou d’origines » (Derrida 19). Ainsi, lorsqu’il tente de se saisir son essence le 6 juillet, le narrateur se multiplie inconsciemment, inscrivant dans son écriture une fragmentation identitaire irréconciliable. Il crée une prolifération de « mois » qui le pousse aux confins de la folie : « Je deviens fou. On a encore bu toute ma carafe cette nuit  ; — ou plutôt, je l’ai bue ! Mais, est-ce moi ? Est-ce moi ? Qui serait-ce ? Qui ? » (Maupassant 6). La répétition frénétique du « moi » signifie une fracture identitaire, un écart irréductible entre son moi présent et son moi écrit. Ce clivage identitaire l’amène à s’interroger, à « douter s’il y a deux êtres en nous, ou si un être étranger, inconnaissable et invisible, anime, par moments, quand notre âme est engourdie » (Maupassant 6). Par cet éclatement, le journal devient non seulement le spectacle de l’hésitation todorovienne mais aussi la scène où s’inscrit la différance derridienne : le narrateur, dans son écriture, dissout sa propre présence dans une série d’effacements et de répétitions.

Il est hanté par le fouillis troublant de la « présence invisible et constante » du Horla, une entité définie par la dualité énigmatique des « êtres invisibles bien que tangibles », mais il double cette expérience en la matérialisant dans son journal, inscrivant une dialectique entre absence et présence (Maupassant 13, 16). Le Horla ébranle l’ordre ontologique du protagoniste en se manifestant comme une entité définie par son informe, caractérisée par une « sorte de transparence opaque, s’éclaircissant peu à peu », un « corps transparent… inconnaissable… d’Esprit » tout en semblant simultanément le suivre, marchant « sur [ ses] talons, tout près, à [se] toucher », provoquant un frisson persistant (Maupassant 3). Le paradoxe sémantique de la « transparence opaque » illustre le Horla comme une entité à la fois différenciante et subversive, occupant et dissolvant les catégories qu’elle habite. Avec une « âme bouleversée », le narrateur affirme : « Je suis certain maintenant, aussi certain que de l’alternance des jours et des nuits, qu’il existe près de moi un « être invisible… qui peut toucher les choses… doté par conséquent d’une nature matérielle, quoique imperceptible à nos sens » (Maupassant 12). Il compare alors l’être paradoxal à lui-même, déclarant qu’il « habite comme moi, sous mon toit » (Maupassant 12). À mesure que le narrateur perd sa capacité à se démarquer de cette présence intrusive, le Horla s’impose de plus en plus. Les ellipses textuelles croissantes traduisent ce désordre sémantique : elles écaillèrent la narration à mesure que le moi du protagoniste se divise, dédoublant le clivage identitaire. Ce processus atteint son paroxysme lorsqu’il nomme enfin le Horla, rendant son invisibilité visible en inscrivant son absence dans l’espace textuel : « le… oui… il le crie… J’écoute… je ne peux pas… répète… le… Horla… J’ai entendu… le Horla… c’est lui… le Horla… il est venu !… » (Maupassant 16). En nommant cette entité dépourvue de « contours nettement arrêtés », il délimite sa forme et lui donne un ancrage ontologique (Maupassant 18). 

La dissolution, opérée par le Horla, des frontières entre absence et présence, soi et autrui, culmine dans l’effondrement ontologique du protagoniste lorsqu’il se confronte à son reflet dans un miroir pour le trouver absent. Il déclare avec effroi : « Je ne me vis pas dans ma glace ! Elle était vide, claire, profonde, pleine de lumière ! Mon image n’était pas dedans… et j’étais en face, moi ! » (Maupassant 18). En attribuant un signe à l’invisible et en l’intégrant dans la matérialité visible de son journal, le narrateur effectue un transfert paradoxal entre absence et présence, qui ébranle sa capacité à délimiter soi/autre et réel/irréel. Son identité de plus en plus fragmentée, reflétée dans le miroir, se brouille jusqu’à sa révélation ultime : « [le Horla] est en moi, il devient mon âme » (Maupassant 18). La déclaration du narrateur que « l’air, l’air invisible, est plein de Puissances inconnaissables, dont nous subissons les mystérieux voisinages » met à nu l’illusion de ce que Derrida appelle « la métaphysique de la présence », exposant un univers où « tout ce qui nous entoure, tout ce que nous voyons sans le regarder, tout ce que nous frôlons sans le connaître, tout ce que nous touchons sans le palper » (Maupassant 2). En déconstruisant la réalité comme un espace mouvant d’interstices et d’indétermination, Le Horla la dévoile comme un jeu fluide de présences et d’absences, laissant le lecteur se demander si le conte de Maupassant dépeint un fou ou la condition humaine.

Après avoir exploré dans Le Horla le mouvement intérieur des fissures spectrales et existentielles qui font s’effondrer les frontières entre soi et l’autre, la folie et la raison, La Vénus d’Ille de Prosper Mérimée s’enfonce dans un autre espace liminal : celui où les ruptures dans l’espace et la matière entremêlent le monde tangible avec l’imaginaire. Si Le Horla situe le sujet déstabilisé comme le foyer de l’ambiguïté métaphysique-ontologique, le cœur fantastique de La Vénus d’Ille réside dans une statue énigmatique, une Vénus de bronze exhumée, qui brouille les distinctions entre sacré et profane, banal et mythique, animé et inanimé. Tandis que l’invisibilité du Horla implique un intrusion intérieur de l’absence dans la présence, la statue incarne l’inverse : l’irruption de la présence dans l’absence, alors que l’inertie supposée de l’objet se métamorphose en une vitalité troublante, puissante, voire sacrée. Dans « Réintroduction à la littérature fantastique », Corry Cropper soutient qu’un texte devient fantastique « lorsque les perspectives temporelles, spatiales et causales passent du narrateur-sujet humain à l’objet », illustrant ainsi un « réalisme radicalement décentré » qui « valorise l’objet » (Cropper 34-35). Cette dynamique, au cœur de La Vénus d’Ille, extériorise le fantastique en déplaçant la agence du sujet vers l’objet. La statue, objet d’apparence inanimée mais doté d’une puissance malveillante et d’une matérialité mouvante, incarne cette « ontologie-orientée-objet » pour déconstruire radicalement la perception rationnelle du réel. 

Extraite du sol comme une relique mythologique de l’Antiquité, la Vénus perturbe d’emblée l’équilibre spatio-temporel du récit : elle insère le passé dans le présent tout en troublant l’espace doméstique du jardin de sa puissante présence, le dominant avec une énergie dérangeante. Son intrusion brouille les lignes entre artefact mythologique – « une idole en terre » – et objet quotidien – « une statue en terre cuite, en argile » (Mérimée 2). Dès sa découverte, la statue oscille entre des dualités irréconciliables : d’« une antique ! un antique ! … un trésor » à « une grande femme… une idole du temps des païens… une bonne Vierge » (Mérimée 2). Le narrateur imprègne la description de Vénus « noire » aux « grands yeux blancs » – « comme ceux des morts » – d’une présence paradoxale, simultanément sensuellement corporelle et spectaculairement cadavérique (Mérimée 2). Ses yeux, qui « fixe[nt] » et semble « vous dévisage[r] », acquièrent une puissance surnaturelle, incarnant ainsi une dualité dérangeante qui suspend le sens et marque l’irruption du fantastique dans le récit (Mérimée 3). Le pouvoir pénétrant de son regard, décrit comme ayant « l’air méchante … et qui l’est aussi », renverse les rôles entre l’observateur et l’observé, déstabilisant donc la dynamique ontologique objet-sujet et la rendant fondamentalement instable (Mérimée 3). Les théories derridaniennes et todoroviennes convergent dans cette figure obscure, oscillant entre une attirance érotique, une terreur mythique et une vengeance surnaturel. Ces éléments diffèrent toute signification univoque, déconstruisant le binaire traditionnel qui privilégie l’animé/humain sur l’inanimé/statue, et forçant à la fois le protagoniste et le lecteur à « hésiter » entre ces deux pôles ontologiques.

Maupassant et Mérimiée utilisent l’ambiguïté sémantique pour saper la clarté linguistique, notamment à travers l’emploi de termes contradictoires dans la description du Horla et de la Vénus, mais également par un glissement linguistique qui illustre l’indétermination derridienne. Alors que le mouvement intérieur du Horla donne corps à cette ambiguïté à travers l’acte d’auto-écriture, la tentative du narrateur de déchiffrer l’inscription sur le socle de la Vénus, « CAVE AMANTEM », met au jour une multiplicité de significations qui défie toute interprétation stable. Le conte révèle qu’« il y a deux sens » possibles : « On peut traduire : « Prends garde à celui qui t’aime ; défie-toi des amans » ou « Prends garde à toi si elle t’aime » (Mérimée 9). Le narrateur, « en voyant l’expression diabolique de la dame », estime que « l’artiste a voulu mettre en garde le spectateur contre cette terrible beauté » et affirme à M. de Peyrehorade : « Je traduirais donc : “Prends garde à toi si elle t’aime” », bien que M. de Peyrehorade « préfère la première traduction » (Mérimée 9). Soulignant les limites du langage à transmettre un sens absolu, le narrateur remarque que « le latin est une langue terrible avec sa concision », laissant le lecteur, à son tour, pris dans une oscillation entre ces deux traductions, incapable de trancher (Mérimée 10). Cette ambiguïté déconcertante force ainsi le lecteur à « hésiter » dans un espace où le sens demeure volontairement différé et jamais pleinement saisissable.

De même, lorsque le narrateur découvre plus tard une mystérieuse inscription ancienne gravée sur le bras de Vénus, disant « VENERI TVRBVL… EVTVCHES MVRO. IMPERIO FECIT », le mot « TVRBVL » résiste à toute interprétation cohérente. Le narrateur « [s]’embarrasse fort » de ce terme énigmatique et « cherche en vain quelque épithète connue de Vénus qui peut [s]’aider », proposant une série de significations telles que « Vénus turbulente ! Vénus la tapageuse ! », avant de découvrir que cette gravure pourrait correspondre à « TVRBVLNERÆ » (Mérimée 10). M. de Peyrehorade, quant à lui, explique que « TVRBVLNERÆ » est en réalité « une corruption du mot latin TVRBVLNERA » et insiste sur le fait que « rien de plus commun que ces inversions », justifiant ainsi son interprétation : « À Vénus de Boulternère, Myron dédie, par son ordre, cette statue son ouvrage » (Mérimée 11). Cependant, comme pour l’inscription initiale « CAVE AMANTEM », le narrateur conte subtilement cette traduction. Se gardant « bien de critiquer son étymologie », il suggère néanmoins que « fecit se prend fort souvent pour consecravit… ce sont termes synonymes », avant que M. de Peyrehorade ne détourne la conversation en s’écriant : « On aura jeté une pierre à ma statue » (Mérimée 11). Non seulement est « TVRBVL» imprégnée d’une indétermination intrinsèque, mais la tentative même de l’interpréter est continuellement perturbée par la rupture ontologique qu’apporte la statue, mêlant inextricablement vie et mort, animé et inanimé et action et inertie. À travers des descriptions paradoxales, des inscriptions cryptiques et des interprétations vacillantes, l’impénétrabilité de Vénus engendre une ambiguïté sémantique qui ne cesse de déconstruire les binaires traditionnels, de différer le sens et de frustrer toute possibilité de résolution définitive.

Mérimée construit un espace narratif où la différance derridienne et l’hésitation todorovienne s’entremêlent pour déconstruire l’illusion d’un sens définitif et d’une réalité figée, les révélant comme un labyrinthe obscur d’incertitudes et de paradoxes. De ce labyrinthe émergent deux modalités distinctes de la rupture fantastique : intériorisée chez Le Horla et extériorisée chez La Vénus d’Ille. Alors que Maupassant centre l’effondrement intérieur du moi comme le spectacle de l’ambiguïté ontologique, retraçant la fragmentation progressive de la subjectivité confrontée à l’invisible et ineffable Horla, Mérimée centre cette rupture hors du sujet, manifestant la déstabilisation du réel dans l’agence énigmatique et troublante de la statue de Vénus. Pourtant, qu’elle s’inscrive dans les méandres de la psyché ou dans le monde extérieur, cette rupture fantastique se déroule toujours comme un jeu incessant entre présence et absence, où le sens est indéfiniment différé et où les frontières entre le naturel et le surnaturel se dissolvent dans une ambiguïté vertigineuse. Les deux récits déploient un glissement ontologique et une déstabilisation sémantique qui plongent narrateur et lecteur dans un espace liminal où les repères habituels de la perception, du langage et de la réalité deviennent insaisissables. Dans Le Horla, cette dissolution s’enracine dans l’intériorité même du narrateur : il sent une entité invisible, omniprésente, qui imprègne l’air et son être, et inscrit cette énigme dans son journal, où elle se transforme en un écho inquiétant de présence et d’absence. À l’inverse, la Vénus insondable de Mérimée, avec sa matérialité paradoxale et son aura mythologique, ébranle les fondements mêmes de l’ontologie narrative et s’ouvre comme un mystère interprétatif, où la multiplicité de ses significations confond toute certitude et précipite lecteur et narrateur dans une indéchiffrabilité vertigineuse. Dans les deux textes, le mouvement de rupture – qu’il soit interne ou externe – converge vers une dissolution de la certitude. En éclairant le fantastique non seulement comme genre littéraire, mais aussi comme déconstruction fondamentale de la réalité, Maupassant et Mérimée dévoilent un mode de pensée qui englobe les contradictions, les fissures et l’inconnaissabilité du monde. Le fantastique français du XIXe siècle ne se limite pas à insérer le surnaturel dans une représentation mimétique ; il le dévoile comme inhérent, tapi dans ses interstices et ses marges, prêt à surgir pour troubler l’ordre apparent et se révéler comme entrelacé dans le tissu « entre-deux » du réel.

Bibliographie

Cropper, Corry. « Réintroduction à La Littérature Fantastique: Enlightenment Philosophy, Object-Oriented Ontology, and the French Fantastic ». Nineteenth-Century French Studies, vol. 44, no. 1/2, 2015, pp. 25–45. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/44122736.

Derrida, Jacques. De la grammatologie. Les Éditions de Minuit, 1967.

L’Écriture et la différence. Éditions du Seuil, 1967.

La Voix et le phénomène. Presses Universitaires de France, 1967.

Marges de la philosophie. Éditions de Minuit, 1972.

Lévesque, Pierre C. « Théorie et lectures du fantastique : Gaspard de la nuit, La Vénus d’Ille et Le Horla ». Thèse de maîtrise, Département d’Études françaises, Université Queen’s, Kingston, Ontario, 1999. Bibliothèque nationale du Canada.

Maupassant, Guy de. Le Horla. P. Ollendorff, Paris, 1895. Publié à l’origine en 1887. Fac-similé disponible sur Internet Archive.

— « Lettre d’un fou ». Gil Blas, 17 février 1885, signé Maufrigneuse. Numérisé et mis en forme HTML par Thierry Selva, 5 février 1998, maupassant@free.fr.

Mérimée, Prosper. La Vénus d’Ille. Revue des Deux Mondes, période initiale, tome 10, Paris, 1837, pp. 425-452. Fac-similé disponible sur Internet Archive.

Todorov, Tzvetan. Introduction à la littérature fantastique. Éditions du Seuil, 1970.

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La recherche de la voix féminine : le féminisme poststructuraliste et le langage

Je parlerai de l’écriture féminine : de ce qu’elle fera. Il faut que la femme s’écrive : que la femme écrive de la femme et fasse venir les femmes à l’écriture, dont elles ont été éloignées aussi violemment qu’elles l’ont été de leurs corps ; pour les mêmes raisons, par la même loi, dans le même but mortel.

Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » (1975)

L’être humain existe dans un monde où la langue façonne tout. Les mots et les phrases que l’on parle et écrit sont au cœur de tous les rapports humains et constituent la base de la construction de l’identité individuelle et sociopolitique au sein d’une société. La langue est donc indissociable du pouvoir, parce qu’elle est le moyen même par lequel le pouvoir se construit et s’impose. C’est à la fois une arme de domination et une arme de résistance, une méthode de contrôle et un vecteur de soulèvement. Pour démêler les nœuds d’un système de pouvoir, on doit tenter de dérouler les fils mêmes qui le tissent. Afin de démanteler le système patriarcal qui a piégé les femmes depuis l’aube de la civilisation occidentale, la démarche féministe doit commencer par une déconstruction du langage lui-même : un langage qui s’est imprégné des structures hiéarchquies mêmes qui perpétuent l’oppression.

Lorsque le philosophe français et fondateur de la linguistique moderne Ferdinand de Saussure (1857-1913) a proposé que « la langue est un système de signes exprimant des idées » et que ce système repose sur une « série de différences » dans son texte révolutionnaire Cours de linguistique générale (1916), il a planté les germes fondateurs de ce qui est devenu dominant dans la pensée philosophique française du XXième siècle : la langue humaine, et donc l’identité et les rapports socio-politiques, reposent sur sur la différence (p. 33, 49). Du point de départ théorique du langage et de la signification posé par le structuralisme de Saussure naît la naissance du courant poststructuraliste qui envahit la France dans les années 1960 avec les textes prolifiques de philosophes comme Roland Barthes (1915-1980), Jacques Derrida (1930-2004), Michel Foucault (1926-1984) and Gilles Deleuze (1925-1995), qui affirmaient que les structures avancées par le structuralisme sont indissociables de la connaissance, du pouvoir et de la réalité. Alors que ces penseurs poststructuralistes critiquaient et remettaient en question la stabilité et l’objectivité de l’identité et de la vérité au sien d’une société organisée autour de structures de pouvoir, les penseuses féministes, en pleine deuxième vague du féminisme en France, cherchaient à comprendre la condition des femmes à la lumière des théories émergentes du XXème telles que le poststructuralisme, la déconstruction et la psychanalyse. 

La langue n’est pas simplement un appareil utilisé pour parler. C’est un système qui détermine et précède chaque relation et à travers ses signes on communique ; l’être humain vit à travers la langue. Nous sommes définis par le langage que nous utilisons et par ses figures et métaphores qui façonnent notre pensée et donc qui nous sommes. Pour les féministes poststructuralistes comme Luce Irigaray (1930 –), Hélène Cixous (1937 –), Julia Kristeva (1941 –) et Monique Wittig (1935 – 2003), l’identité, la sexualité et la position des femmes dans la société occidentale doivent donc être comprises en termes des structures linguistiques qui configurent et entretiennent le patriarcat. Il faut comprendre le pouvoir en termes de langage, le langage en termes de différence et donc décoder la condition des femmes en termes de leur « altérité » linguistique construite. Pour inverser cette oppression linguistique qui veille à l’oppression sociopolitique des femmes, une femme doit se redéfinir en bouleversant les normes du langage lui-même. La penseuse féministe qui souhaite percer les énigmes du pouvoir et aborder les questions de sens doit donc s’interogger sur la nature même du langage. Selon les féministes poststructuralistes, le langage employé par le patriarcat a historiquement privé les femmes de la capacité de cerner et d’affirmer leur propre sexualité et leur identité. Pour ces féministes poststructuralistes, il n’y a qu’un seul recours : les femmes doivent inventer leur propre langue, authentiquement féminin et intrinsèquement subversif.

Pour les féministes poststructuralistes, le malentendu et la négation de la sexualité féminine inhérentes au langage se manifestent dans la psychanalyse du XXème siècle, en particulier dans la conception lacanienne de la sexualité féminine. Dans son article « Féminisme et déconstruction », Gayatri C. Spivak soutient que la démarche féministe est indissociable de la psychanalyse, citant Jacqueline Rose elle écrit : 

Le féminisme doit se fonder sur la psychanalyse car la question de savoir comment les individus se reconnaissent comme homme ou femme, la formulation qu’ils font d’une telle demande, semble s’inscrire dans ce rapport fondamental aux formes d’inégalité et de subordination que le féminisme cherche à transformer. 

(Rose, 1986, p. 5 cité dans Spivak, 2010, p. 185)

Jacques Lacan (1901 – 1981) place le langage au cœur du développement psychosexuel. Il identifie trois ordres de l’expérience : le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire. Dans l’ordre pré-œdipien de l’Imaginaire, l’enfant n’a conscience d’aucune séparation entre soi et autrui, c’est-à-dire entre le nourrisson et le mère, entre l’homme et la femme, et existe alors dans un état de plénitude, tirant plaisir de son identification avec une entité totale et cohérente. Mais l’enfant est alors brusquement arraché à cet état précoce de plénitude par une loi autoritaire que Lacan appelle « Le Nom-du-Père », le « Nom » symbolisant la sujétion de l’enfant à la langue et à ses institutions et le « Père » symbolisant les structures patriarcales et tyranniques du discours occidental. L’unité entre soi et l’Autre (l’enfant et la mère) est brisée et l’enfant est placé dans l’ordre du Symbolique : l’ordre du langage patriarcal, des lois et des institutions. Même si entrer dans l’ordre Symbolique exige de réguler le plaisir, Lacan identifie une extase érotique qui transgresse cette régulation : la jouissance. Le psychanalyste Jacques-Alain-Miller décrit cette « jouissance » particulière comme la « jouissance non œdipienne, la jouissance conçue comme soustraite de, comme en-dehors de la machinerie de l’Œdipe. C’est la jouissance réduite à l’événement de corps » (Miller, 2011). À côté de la jouissance lacanienne essentiellement phallique, Lacan identifie également une jouissance spécifiquement féminine, une jouissance supplémentaire, une jouissance du corps féminin au-delà du phallus qui est ineffable et dépasse la logique oppressive et la limite du Symbolique. Pourtant malgré cela, dans le développement psychosexuel lacanien, c’est toujours l’homme qui possède l’accès à sa sexualité : 

C’est l’homme qui du moins en apparence, a le privilège des grandes positions perverses, alors que la femme n’y entre que par la réflexion de ce qui introduit en elle ce manque de la jouissance de l’homme, donc par la voie du désir qui, étant désir de l’Autre, est pour elle désir de l’homme.

(Lacan, Séminaire XVI, 1967, p. 106)

Enfin, au-delà de l’ordre Symbolique, Lacan identifie un troisième ordre appelé le Réel, celui qui symbolise ce que ni la langue ni la culture ne sont capables de nommer puisque la langue ne peut suffisamment représenter l’expérience.

Pour Lacan, l’ordre Symbolique s’organise autour du « phallus », qui n’est pas nécessairement un organe biologique mais plutôt un symbole abstrait de pouvoir associé au corps masculine ; c’est le signifiant maître de l’autorité et du pouvoir paternels auxquels seuls les sujets masculins peuvent accéder dans système patriarcal régi par le discours masculin. Incapable de posséder le phallus, « la femme a dans ses manques d’objet essentiel le phallus » et pour Lacan, « c’est est le sexe féminin qui a ce caractère d’absence, ce vide, ce trou qui fait qu’une dissymétrie essentielle apparaît » (Lacan, Séminaire XIII, 1956, p. 199). C’est ce « manque » féminin et cette « possession » masculine, produits dans l’entrée de l’enfant dans l’ordre Symbolique, qui fondent la différence sexuelle et le noyau oppositionnel d’où peut dériver toute signification. Si l’absence ou la possession du phallus symbolique constitue le socle sur lequel se construisent la féminité et la masculinité, alors le statut « castration » du corps féminin désigne la figure féminine comme un état de déficience. La femme est exclue et réprouvee en tant qu’« Autre ». Elle est privée du langage parce qu’elle ne peut pas échapper à l’ordre de l’Imaginaire et entrer dans le Symbolique comme le font les hommes ; elle ne peut entrer dans le Symbolique qu’en incarnant ce qu’elle n’est pas : « la femme a beaucoup plus de mal que le garçon à faire entrer la réalité […] parce qu’il faut passer par quelquechose vis-à-vis de quoi elle a un rapport tout différent que l’homme, c’est à savoir, par ce dont elle manque, c’est-à-dire le phallus » (Lacan, Séminaire IV, 1956, p. 190). Pour Lacan, l’apparition d’un sujet parlant dépend de ce « manque » féminin, et les femmes n’ont ainsi pas de place solide dans un langage structuré autour de la présence phallique. Sa sexualité est marquée comme le négatif passif de la masculinité, et puisque la subjectivité nécessite l’entrée dans le Symbolique et que l’ordre Symbolique gravite autour du phallus masculin, elle est privée de langage et de subjectivité dans le monde phallocentrique.

Alors que Lacan analyse l’exclusion des femmes du discours patriarcal à travers une lentille psychanalytique, Jacques Derrida s’intéresse aux structures linguistiques qui constituent ce discours dominant. Comme Lacan, Derrida souligne que ces systèmes de langage sculptent et modèlent la subjectivité et le rapport à l’autrui. Derrida reprend et radicalise la conception saussurienne de la différence et son affirmation selon laquelle « dans la langue, il n’y a que des différences sans termes positifs », et avance l’idée que le langage n’est que la dissémination de la différence et donc le rapport entre signifiants (Saussure, 1916, p. 166). Derrida écrit dans De la Grammatologie que « l’origine de l’expérience de l’espace et du temps » est « cette écriture de la différence, ce tissu de la trace permet à la différence entre l’espace et le temps de s’articuler, d’apparaître comme telle dans l’unité d’une expérience » et ainsi « la différence est l’articulation » (Derrida, 1967, p. 92). Autrement dit, notre connaissance du monde est toujours médiatisée par le langage, système non représentatif généré par ce qu’il appelle « la différance » : un néologisme qui joue sur le verbe « différer » pour démontrer que les mots ne signifient quelque chose qu’en raison de leur différence avec les autres mots, et lorsque l’on tente d’établir la signification d’un signe, on est inéluctablement et continuellement « différé » à de plus en plus signes. Selon le « principe d’identité » qui dicte le discours occidental, « A » est toujours « A » parce qu’il n’est pas « B » ; une chaise est toujours une chaise parce qu’elle « n’est pas » une table ; une « femme » est toujours une « femme » parce qu’elle « n’est pas » un « homme ». En d’autres termes, ces oppositions binaires adverses entre « A » et « B » forment le pivot du langage et existent ainsi à la fois comme composantes du cadre dans lequel chacun formule son identité et comme outils utilisés pour s’exprimer. Dans l’opposition binaire « homme/femme » qui s’opère selon ce principe, la femme est alors définie par ce qu’elle « n’est pas » ; elle « est devenu, dans nos langues, le non-masculin, c’est-à-dire une réalité abstraite inexistante » (Irigaray, Ce sexe, 1977, p. 109).

Pour Derrida, les concepts et les connaissances qui régissent la perception occidentale de la réalité s’organisent tous en fonction de ces oppositions binaires, paires de signes contrastés qui insinuent que les choses ne sont définissables que par rapport à ce qu’elles ne sont pas, suggérant un rapport presque adverse qui les situe sur une échelle illusoire. Le terme « primaire » d’une paire binaire est privilégié sur cette échelle comme concept positif et prend la priorité sur le terme « secondaire », qui est marginalisé comme négatif et par conséquent considéré comme déficient, moindre, inférieur par rapport à son rival primaire. Cependant, Derrida remet en cause cette logique en révélant que ce privilège est en fait arbitraire et trompeur puisque toute identité se construit toujours au sein de son « Autre », qui n’est pas son opposition dichotomique externe mais plutôt son « supplémentaire » mutuellement interdépendant, même si le « principe d’identité » tente de convaincre du contraire. La déconstruction derridienne démonte (déconstruit) ce processus d’instauration et de naturalisation de ces oppositions afin de démanteler l’échelle hiérarchique qui prétend qu’un terme est privilégié par rapport à l’Autre, dévoilant au contraire leur caractère symbiotique. C’est cette démarche, cette méthode de déconstruction derridienne, qu’adoptent les féministes poststructuralistes, déconstruisant l’opposition binaire « homme/femme » afin de montrer qu’il n’y a rien de naturel ni de véritable dans l’inscription de la masculinité comme privilégiée et positive par rapport à sa contrepartie féminine prétendument désignée subordonnée et négative.

Pour les féministes poststructuralistes, ces oppositions binaires dont parle Derrida ont été manipulées tout au long de l’histoire pour imposer la supériorité masculine sur les femmes. Pour emprunter une liste à Cixous, les oppositions binaires promues par l’idéologie patriarcale associent toujours la féminité à l’impuissance et à la passivité : « homme/femme », « activité/passivité », « soleil/lune », « culture/nature », « tête/sentiment ». », « intelligible/sensible », « logos/pathos » ; et pour Cixous, « tout est organisé à partir d’oppositions hiérarchiques qui renvoient à l’opposition homme/ femme » (Cixous, « Le sexe », 1976, p. 14). Ces oppositions binaires hiérarchiques et au sein d’un discours patriarcal accordent à l’homme la position privilégiée du terme « primaire », le désignant comme détenteur du « phallus », centre du pouvoir dans la société occidentale. Le terme masculin primaire se voit donc attribuer le pouvoir de déterminer les normes de signification culturelle. Tandis que l’homme acquiert présence et supériorité, la femme est excisée et reléguée à la position de l’Autre négatif, comme manquante et soumis ou secondaire par rapport à son signficant « maître » primaire. Cette effacement du caractère « supplémentaire » des termes binaires, cette assertion du terme primaire masculin, et enfin cette suppression de l’Autre féminin forment le socle de ce que Derrida nomme « phallogocentrisme », terme qui combine « phallocentrisme » et « logocentrisme » pour représenter le privilège du terme masculin dans le discours occidental. C’est la raison pour laquelle il déclare qu’ « avant toute politisation féministe, il importe de reconnaître cette puissante assise phallogocentrique qui conditionne à peu près tout notre héritage culture » (Derrida, « Entretien », 2000). Le seul langage accessible aux femmes a été ce langage phallogocentrique : « Il n’y a pas de vérité de la femme mais c’est parce que cet écart abyssal de la vérité, cette non-vérité, est la « vérité ». Femme est un nom de cette non-vérité de la vérité » (Derrida, Éperons, 1978, p. 39). Pour renverser ce modèle phallogocentrique, les féministes poststructuralistes reprennent la méthode déconstructionniste pour démontrer que le signe « homme » lui-même n’a aucun sens indépendant de son signe supplémentaire « femme ». Le féminisme poststructuraliste réutilise la différance derridienne en montrant que discerner la différence de genre oblige aussi à « différer » constamment. Comme dans toute opposition binaire, chacun des deux termes – « homme » et « femme » – dépend l’un de l’autre afin de signifier, et la rapport entre les deux suggère après tout une forme d’interdépendance plutôt qu’un dualisme antagoniste. La position hiérarchique et privilégiée de « l’homme » est donc arbitraire et peut en effet être déconstruite.

Le signifiant maître du phallus apparaît comme le fil tout-puissant qui tisse la société humaine. Dans la conception lacanienne de la sexualité féminine, la sexualité d’une femme est conçue comme le « manque » du phallus. Dans la conception derridienne du discours phallogocentrique occidentale, l’identité de la femme se fonde sur sa construction comme « négatif » de l’homme. Partout – de Lacan à Derrida – la femme est « l’Autre » inférieure, privée d’une sexualité autonome, privée de l’accès au Symbolique, privée de la langue, privée de la subjectivité, privée de la capacité même de se concevoir. Si le discours phallogocentrique est le discours dominant régissant la société occidentale, si le langage lui-même est enraciné dans les structures hiérarchiques et patriarcales qui perpétuent l’asservissement des femmes, si les femmes se voient refuser la capacité même d’exprimer leur subjectivité, comment une femme peut-elle même commencer à se hisser de son assujettissement, à se découvir et s’affirmer en dehors de sa position soumise? Pour Hélène Cixous et Luce Irigaray, la solution passe par trois étapes : une femme doit libérer sa propre sexualité autonome de celle qui lui impose le patriarcat phallocentique, elle doit libérer sa propre voix du langage phallogocentrique qui cherche à la faire taire, et efin, elle doit utiliser cette sexualité et cette voix émancipées pour s’exprimer dans un langage authentiquement féminin qui bouleverse les norms phallogocentriques et brise ses chaînes.

Comme on l’observe dans la psychanalyse lacanienne, la sexualité féminine a été théorisée comme un manque parce qu’elle a été conceptualisée en termes de sexualité masculine (le phallus) : 

La sexualité féminine a toujours été pensée à partir de paramètres masculins. Ainsi l’opposition d’activité virile clitoridienne / passivité féminine vaginale dont parle Freud et bien d’autres… comme éta pes, ou alternatives, du devenir une femme sexuelle ment « normale », semble un peu trop requise par la pratique de la sexualité masculine. 

(Irigaray, « Ce sexe qui n’en est pas un », 1974, p. 54)

Contrairement aux théories freudiennes et lacaniennes de la sexualité qui décrivent les femmes comme des signifiants négativement imaginaires, incomplets et vides (le ventre vacant), les féministes poststructuralistes françaises conçoivent la sexualité féminine comme autonome et explorable uniquement dans le cadre d’un discours féminin radicalement distinct. Le langage féminin étant lié au corps féminin, ce discours ne peut émerger que d’un détournement de la différence sexuelle des femmes, détachée des hiérarchies phallogocentriques. Cixous et Irigaray probématisent la vision lacanienne du féminin comme occupant une position de manque par rapport au phallus et comme cantonné à l’espace prélinguistique de l’Imaginaire. Elles contestent la conception du féminin comme n’étant pas exprimable dans ses propres termes mais plutôt seulement dans le cadre de structures normatives et signifiantes alignées sur le Symbolique. Elles estiment qu’en établissant la sexualité masculine comme norme, les femmes ont perdu contact avec leur propre sexualité, leur propre corps et leur penchant pour des formes de plaisir hétérogènes et plurielles. Pour défaire cette structure, Cixous et Irigaray envisagent une pratique de l’écriture et de la parole féminines comme un moyen d’articuler une différence sexuelle qui ne repose pas sur des rapports hiérarchiques de structures de pouvoir.

Irigaray et Cixous se consacrent aux attributs de la sexualité féminine (de jouissance et de plaisir multiple) pour remplacer le plaisir phallocentrique (masculin) qui est singulier puisqu’il se construit autour de la présence/absence du phallus. Elles ressortent la jouissance lacanienne pour révéler comment la jouissance féminine se diffuse sur une pluralité de zones corporelles, à l’inverse de la concentration génitale/pénienne de la libido masculine. Cixous soutient que l’homme se limite parce qu’il « se gravite autour du pénis » et que peu d’hommes sont « capables d’aimer l´amour ; d’aimer donc les autres […] de penser la femme qui résisterait à l’écrasement » (Cixous, « Le rire de la Méduse », 1975, p. 52). Elle écrit que « la sexualité masculine gravite autour du pénis, engendrant ce corps (anatomie politique) centralisé, sous la dictature des parties », alors que la femme « n’opère pas sur elle-même cette régionalisation au profit du couple tête-sexe, qui ne s’inscrit qu’à l’intérieur de frontières. Sa libido est cosmique, comme son inconscient est mondial » (Cixous, p. 54) . De même, Irigaray estime que « l’auto-érotisme de la femme est-il très différent de celui de l’homme » et démontre, comme Cixous, propose une valorisation des pulsions libidinales féminines multidimensionnelles qui évoque une supériorité presque mystique sur la détermination phallique qu’elle dépasse (Irigaray, « Ce sexe », p. 54). Soulignant le caractère multiple et pluraliste de la sexualité féminine, Irigaray affirme que l’homme « a besoin d’un instrument pour se toucher : sa main, le sexe de la femme, le langage » tandis que la femme « se touche d’elle-même et en elle-même sans la nécessité d’une médiation, et avant tout départage possible entre activité et passivité » (Irigaray, p. 54). Elle continue de démontrer le pluralisme de la sexualité féminine en invoquant le motif de la masturbation féminine : « la femme “se touche” tout le temps, sans que l’on puisse d’ailleurs le lui interdire, car son sexe est fait de deux lèvres qui s’embrassent continûment » et conclut ainsi que « en elle, elle est déjà deux – mais non divisibles en un(e)s – qui s’affectent » (Irigaray, p. 54). Elle soutient que la nature plurielle des lèvres d’une femme incarne un symbole unique de subjectivité, fluide et ouvert, qui transcende toute singularité phallique. Elle exprime ce point en écrivant que « sa sexualité [d’une femme], toujours au moins double, est encore plurielle », et puisque « la femme a des sexes un peu partout », elle « jouit d’un peu partout », et donc « la géographie de son plaisir est bien plus diversifiée, multiple dans ses différences, complexe, subtile, qu’on ne l’imagine » (Irigaray, p. 56).

Pour Irigaray et Cixous, dévoiler les dimensions de la sexualité féminine, du sexe féminin « qui n’en est pas un », un sexe obscurci par le phallocentrisme, nécessite la reconanaissance de la multiplcité de la sexualité féminine et l’élaboration ultérieur d’un langage féminine pluriel inspiré par cette multiplcité corporelle. À l’instar d’Irigaray, Cixous réveille aussi les dimensions énigmatiques et pluralistes de la masturbation féminine : « moi aussi je déborde, mes désirs ont inventé de nouveaux désirs, mon corps connaît des chants inouïs » (Cixous, p. 40). Cette pluralité du sexe féminin que Irigaray et Cixous vantent sert de source d’inspiration d’un discours authentiquement féminin, non seulement parce qu’elle ébranle le langage du Père lacanien, mais aussi parce que la pluralité elle-même affronte la linéarité et la singularité entretenues par le phallogocentrisme. La libido pariculière d’une femme « produira des effets de remaniement politique et social beaucoup plus radicaux qu’on ne veut le penser » (Cixous, p. 45). Car le discours d’une femme sera ce que le discours logique n’est pas – pluriel et hétérogène, fluide et non objectivé, poétique et expressif – il ressemble ainsi à la pluralité de l’expérience sexuelle féminine. La femme doivent saper son statut de subalterne soumise en renversant le langage répressif que lui donne l’ordre phallogocentrique et, au contraire, se disperser pour incarner le « sexe qui n’est pas un » : le sexe qui n’est pas un avec l’oppresseur masculin. Pour Irigaray et Cixous, cette écriture et cette parole féminines sont le seul moyen pour la femme de « retour à ce corps qu’on lui a plus que confisqué » et puisque « à censurer le corps, on censure du même coup le souffle, la parole », Cixous réclame que « il faut que ton corps se fasse entendre » (Cixous, p. 45). L’écriture féminine doit donc inscrire la réalité corporelle des femmes dans le texte afin de subvertir l’ordre phallogocentrique.

Irigaray avertit les femmes que « si nous continuons à parler le même, si nous nous parlons comme se parlent les hommes depuis des siècles, comme on nous a appris à parler, nous nous manquerons » (Irigaray, « Quand nos lèvres », 1976, p. 203). Cixous et Irigaray identifiant la solution à cet avertissement comme une version d’un langage intégralement féminin et corporel : la femme doit soit cultiver un discours fluid et remarquablement féminin sans logique ni objets formels dans ce qu’Irigaray appelle un « parler-entre-elles », ou bien, elle doit explorer un style poétique qui disloque les règles de la grammaire et de la sémantique, un mode que Cixous appelle « l’écriture féminine ». Cixous sollicite cette incitation dans son manifeste « Le Rire de la Méduse » :

Il faut que la femme écrive par son corps, qu’elle invente la langue imprenable qui crève les cloisonnements, classes et rhétoriques, ordonnances et codes, qu’elle submerge, transperce, franchisse le discours-à-réserve ultime, y compris celui qui se rit d’avoir à dire le mot « silence », celui qui visant l’impossible s’arrête pile devant le « impossible » et l’écrit comme « fin ».

(Cixous, Le Rire de la Méduse et autres ironies, 1975, p. 55-56)

Selon ces féministes poststructuralistes, une écriture de femmes, qu’il s’agisse du « parler-entre-elles » d’Irigaray ou de « l’écriture féminine » de Cixous, est une parole qui cherche à écrire ce pour lequel aucun langage n’existe encore. Elle exprime la langue des muettes, des marginalisées et des refoulées tout en s’affranchissant des principes de rationalité et de logique favorisés par l’ordre phallogocentrique du Symbolique. Sous le modèle de la déconstruction derridienne, un discours féminin privilégie les termes traditionnellement désignés comme « secondaires » dans le discours phallogocentrique afin d’élever leur position d’« inférieure »  à son juste place de « supplémentaire » ; il privilégie la voix et l’oralité, la jouissance et la sexualité féminine, ainsi qu’une subjectivité ouverte à l’altérité. À partir de la déconstruction derridienne, Cixous et Irigaray remettent en question la langue elle-même, inventant une nouvelle parole poétique qui traduit la féminité mieux que tous les arguments logiques structurés. L’écriture/parole féminine au sens derridien agit donc comme un espace de rupture forgé qui permet de démasquer les structures pour ce qu’elles sont réellement– des systèmes fabriqués plutôt que des vérités incontestables, dévoilant ainsi le Symbolique lui-même comme l’une de ces structures fabriquées – et non pas comme un ordre naturel incontestable. 

Alors que Lacan place l’Imaginaire et la jouissance féminine au-delà du Symbolique – et donc hors du langage et de la signification – le féminisme poststructuraliste soutient que c’est à travers l’écriture féminine et le langage poétique que l’on peut réveiller l’Inconscient associé à l’Imaginaire pour engendrer une économie textuelle alternative et non oppositionnel inscrite dans « l’entre-deux », un espace reconstruit au-delà de la logique dualiste. D’où le plaidoyer de Cixous pour les femmes de choisir la forme poétique, car puisque « la poésie n’est que de prendre force dans l’inconscient et que l’inconscient, l’autre contrée sans limites, est le lieu où survivent les refoulés », c’est la seule forme qui peut déplacer l’ordre Symbolique (Cixous, « Le rire », p. 43). En déconstruisant le Symbolique phallogocentrique, les femmes ouvrent des portes alternatives d’expression de soi qui leur permettent d’afficher leur propre « empire unique » et d’occuper la position du « sujet » dont elles ont été historiquement exclues. Le « style » ou « l’écriture » d’Irigaray est donc « toujours fluide, sans oublier les caractères difficilement idéalisables de ceux-ci : ces frottements entre deux infiniment voisins qui font dynamique » (Irigaray, Ce sexe, p. 76). Puisque la sexualité féminine et la pensée féminine évitent naturellement la linéarité et l’efficacité, un discours féminin « résiste à, et fait exploser, toute forme, figure, idée, concept, solidement établis » (Irigaray, p. 76). Laura Cremonese identifie ainsi les caractéristiques suivantes de cette écriture féminine :  

La volonté de se dire soi-même s’exprimer sur le mode de l’autobiographie, soit sur celui du récit de vie au féminin […] la création d’histoires de femmes, à travers lesquelles celles ci se proposent de prendre la parole pour raconter leur vie […] elle opère presque toujours autour du problème de la matrimonialité, les sujets du corps, de l’amour et du couple étant ses aspects les plus immédiats.

(Cremonese, Dialectique, 1997, p. 19)

Elle tourne autour de « la valorisation du corps et de l’inconscient, le refus des mythes féminins élaborés par la littérature masculine et la recherche d’une image littéraire nouvelle de la femme, plus véritable » (Cremonese, p. 17). Elle déstabilise la certitude de la signification, dé-hiérarchise les opposition binaires, inscrit la différence en soi et parle « l’excès » – la jouissance transcendantal – d’une femme en adoptant des stratégies texuelles subversives telles que la déconstruction, le mimétism, le paradoxe et l’assocation libre pour déraciner « l’homme/phallus » de son statut privilégié de terme primaire et ainsi dénaturaliser et dénoncer l’illusion fallacieuse que prétend « le principe phallogocentrique d’identité » la logique d’indentité et affaiblir la certitude sur laquelle repose la signification partiarcale.

L’écriture des femmes est « la possibilité même du changement » qui peut « détruire, casser ; prévoir, projeter » et « transformer les structures sociales et culturelles », une transformation qui commence lorsque les femmes écrivent sur les femmes, leur corps, leur sexe et leur monde subjectif intérieur (Cixous, p. 42). Pour les féministes poststructuralistes, les mots ne sont pas seulement des moyens de communication ; ils possèdent le pouvoir absolu de créer le monde et le soi. Alors que les théories psychanalytiques freudiennes et lacaniennes conceptualisent la sexualité féminine comme un « manque », le féminisme poststructuraliste la considérait comme quelque chose dont les femmes ont été dépouillées par l’ordre Symbolique patriarcal depuis des siècles. En dépossédant les femmes d’accéder à leur véritable sens pluraliste, cosmique et presque mystique de la sexualité, l’ordre Symbolique a réussi à dénuer les femmes de tout accès à elles-mêmes. Alors que les poststructuralistes françaises commençaient à comprendre la vérité en termes de structures linguistiques systématiques, ces penseuses féministes ont cherché à incorporer psychanalyse et déconstruction dans la démarche féministe pour révéler que l’oppression des femmes dans la société occidentale a historiquement dépendu de ce dénuement, de cette répression, de cette réduction du silence des femmes de la capacité de se parler – parce que l’ordre patriarcal repose sur leur sentiment d’un soi fragmenté, sur leur passivité, sur leur silence. Pour Irigaray et Cixous, la quête d’elle-même d’une femme commence avec le refus de la sexualité phallocentrique lacanienne dans laquelle elle a été renfermée et avec la déconstruction derridienne des oppositions hiérarchiques qui l’ont reléguée à une position inférieure – mais sa quête ne s’arrête pas là. Son soi ne doit pas seulement être découvert, il doit s’affirmer dans l’existence. Dans un monde où la langue façonne tout, il ne suffit pas qu’une femme « comprenne » simplement son asservissement linguistique ; elle doit reprendre l’outil même qui a été utilsé pour l’aliéner et éclater son asservissement de l’intérieur. Elle doit s’emparer de sa plume et inventer sa propre langue. C’est seulement alors qu’elle pourra se découvrir. C’est seulement alors qu’elle pourra parvenir à l’affranchissement. C’est seulement alors qu’elle pourra libérer sa voix.

On dit que la vie et la mort sont au pouvoir de la langue. Dans mon jardin d’enfer les mots sont mes fous. Je suis assise sur un trône de feu et j’écoute ma langue […] je ris à cause des mots.

Hélène Cixous, Dedans (1969)

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Entre l’ombre et la lumière : L’inquiétante étrangeté comme matrice du fantastique dans « La morte amoureuse » de Théophile Gautier

 Oh! Comme elle était belle! Les plus grands peintres, lorsque, poursuivant dans le ciel la beauté idéale, ils ont rapporté sur la terre le divin portrait de la Madone, n’approchent même pas de cette fabuleuse réalité. Ni les vers du poète ni la palette du peintre n’en peuvent donner une idée. Elle était assez grande, avec une taille et un port de déesse; ses cheveux, d’un blond doux, se séparaient sur le haut de sa tête et coulaient sur ses tempes comme deux fleuves d’or; on aurait dit une reine avec son diadème; son front, d’une blancheur bleuâtre et transparente, s’étendait large et serein sur les arcs de deux cils presque bruns, singularité qui ajoutait encore à l’effet de prunelles vert de mer d’une vivacité et d’un éclat insoutenables. Quels yeux! avec un éclair ils décidaient de la destinée d’un homme; ils avaient une vie, une limpidité, une ardeur, une humidité brillante que je n’ai jamais vues à un oeil humain; il s’en échappait des rayons pareils à des flèches et que je voyais distinctement aboutir à mon coeur. Je ne sais si la flamme qui les illuminait venait du ciel ou de l’enfer, mais à coup sûr elle venait de l’un ou de l’autre. Cette femme était un ange ou un démon, et peut-être tous les deux, elle ne sortait certainement pas du flanc d’Ève, la mère commune. Des dents du plus bel orient scintillaient dans son rouge sourire, et de petites fossettes se creusaient à chaque inflexion de sa bouche dans le satin rose de ses adorables joues. Pour son nez, il était d’une finesse et d’une fierté toute royale, et décelait la plus noble origine. Des luisants d’agate jouaient sur la peau unie et lustrée de ses épaules à demi découvertes, et des rangs de grosses perles blondes, d’un ton presque semblable à son cou, lui descendaient sur la poitrine. De temps en temps elle redressait sa tête avec un mouvement onduleux de couleuvre ou de paon qui se rengorge, et imprimait un léger frisson à la haute fraise brodée à jour qui l’entourait comme un treillis d’argent.

Théophile Gautier, « La morte amoureuse » (1836), pp. 2-3

Dans son essai fondateur de 1919, « Das Unheimlich », le psychanalyste Sigmund Freud élabore une théorie de « l’inquiétante étrangeté » (« Unheimlich »), qu’il définit comme une sensation de malaise résultant de la transformation du familier en quelque chose d’inquiétant, d’altéré et dérangeant. Freud souligne que ce phénomène « n’est en réalité rien de nouveau, d’étranger, mais bien plutôt quelque chose de familier, depuis toujours, à la vie psychique, et que le processus du refoulement seul a rendu autre » (Freud 31). Selon Freud, cette étrangeté surgit dans les espaces liminaux où « les limites entre imagination et réalité s’effacent », déclenchant une dynamique de dédoublement identitaire par laquelle une part refoulée de l’individu se manifeste sous le forme de « quelque chose d’étranger » dans une tentative inconsciente de « conjurer l’anéantissement » (Freud 25). Cette dialectique du retour du refoulé, génératrice de fractures identitaires et des manifestations profondément dérangeantes, trouve une résonance saisissante dans le conte « La morte amoureuse » de Théophile Gautier (1811-1872), où le jeune prête Romuald, au moment de son ordination, est plongé dans une spirale d’inquiétante étrangeté après un simple regard échangé avec la séduisante et énigmatique Clarimonde. Ce regard inquiétant et magnétique entame une série d’événements où les frontières entre réalité et illusion s’estompent progressivement. À travers le personnage de Clarimonde, Gautier met en œuvre une dialectique entre désir et refoulement qui ébranle les repères ontologiques et psychiques du protagoniste et culmine dans ce que Romauld lui-même qualifie comme « la perte de [son] âme » (Gautier 1). En épluchant les couches de désir mises en jeu dès cette scène inaugurale, Clarimonde apparaît non seulement comme moteur du fantastique dans le texte, mais aussi comme l’incarnation même de l’inquiétante étrangeté, révélant l’entrelacement indissociable de ces deux dimensions dans l’univers captivant et étrange de Gautier.

En raison de sa volonté d’être prêtre, Romuald s’efforce de réprimer toute pulsion sexuelle, reléguant les femmes au rang de simples abstractions irréelles, dénuées de pertinence dans sa vocation religieuse : « Je savais vaguement qu’il avait quelque chose que l’on appelait femme, mais je n’y arrêtais pas ma pensée » (Gautier 1). Cependant, le premier regard sur Clarimonde bouleverse cet équilibre précaire, agissant comme un catalyseur qui réveille soudain des désirs profondément enfouis, illustrant ainsi le mécanisme freudien du retour du refoulé. Romuald compare cette révélation à celle d’« un aveugle qui recouverait subitement la Vue », décrivant comment « des écailles [se] tombaient des Prunelles », une métaphore évocatrice de la puissance transformatrice et révélatrice de cette rencontre (Gautier 2). Les images de lumière et de clarté omniprésentes dans cette scène accentuent la manière dont Clarimonde ouvre « des portes qui jusqu’alors avaient été fermées » et permet à Romauld d’« entrevoir des perspectives inconnues » (Gautier 3). Décrite comme « se détachait sur ce fond d’ombre comme une révélation angélique », Clarimonde introduit une vision de la vie « sous un aspect tout autre », donnant au jeune prêtre l’impression qu’il « venai[t] de naître à un nouvel ordre d’idées » (Gautier 3). La lumière rayonnante qui émane de sa beauté, saturée de « couleurs du prisme », dépasse le simple motif de révélation ; elle devient un miroir psychique, rendant visibles et irrésistiblement palpables les désirs inconscients de Romuald (Gautier 3).

Le pouvoir captivant et envoûtant de Clarimonde transcende le simple rôle de séductrice pour devenir une figure liminale, oscillant perpétuellement entre l’humaine et le surnaturelle, la lumière et l’ombre. Ses mains d’« une si idéale transparence » qui « laissaient passer le jour », semblent appartenir à une entité éthérée, intensifiant la sensation de révélation mystique qu’elle suscite (Gautier 3). Cependant, ce sont avant tout ses yeux, capables de « décid[er] de la destinée d’un homme », qui occupent une place centrale dans l’instauration de l’inquiétante étrangeté et envoûtent le protagoniste (Gautier 3). Ses yeux fonctionnent non seulement comme des miroirs révélant la sexualité refoulée de Romuald, mais aussi comme des catalyseurs qui la lui dévoilent pour la première fois. Leur description, imprégnée de termes tels que « vie », « limpidité, « ardeur » et « humidité brillante » – des qualités que Romuald avoue n’avoir « jamais vues à un œil humain » – les transmute au-delà du domaine du naturel pour les inscrire dans le registre du fantastique (Gautier 3). La « vivacité » et l’« éclat insoutenable » de son regard transcendant n’hypnotisent pas seulement Romuald : il projette sa sexualité latente avec une intensité lumineuse, ébranlant irrémédiablement l’équilibre fragile de son extérieur pieux (Gautier 3). Dès lors que ses yeux « about[issent] à son cœur », ils brisent ses barrières psychiques et ses mécanismes de défense, empêchant Romuald de réprimer sa sexualité naissante (Gautier 3). En associant le regard de Clarimonde à des motifs récurrentes de lumière et de transparence, Gautier confère à cette figure féminine une fonction freudienne révélatrice : elle illumine et dévoile un monde de pulsions sexuelles jusque-là enfoui dans les ténèbres de l’inconscient.

Face à cette révélation soudaine de sa sexualité, Romuald tente désespérément de se défendre contre cette force déstabilisante en recourant au mécanisme du refoulement : il « baiss[e] la paupière bien résolu à ne plus la relever pour [se] soustraire à l’influence des objets extérieurs » (Gautier 2). Pourtant, l’insistance inexorable de ses désirs érotiques « [l]’envahit de plus en plus » et finit par le conquérir (Gautier 2). La résurgence de ses pulsions refoulées, catalysée par l’aura érotique envoûtante et troublante de Clarimonde, brouille insidieusement les frontières entre fantasme et réalité dans l’espace narratif. Ce qui apparaissait d’abord comme une illumination transcendante se mue progressivement en un flou inquiétant, où des dualités autrefois claires – réalité et illusion, sacré et profane, amour et mort – s’effacent inexorablement. Le processus désorientant de l’inquiétante étrangeté finit par engloutir son hôte, amplifiant ainsi l’ambiguïté fondamentale au fantastique et soulignant la puissance inéluctable du retour freudien du refoulé.

Romuald demeure prisonnier d’une incertitude vertingineuse : il ne parvient pas à discerner « si la flamme qui les illuminait venait du ciel ou de l’enfer » (Gautier 3). En tant qu’incarnation de l’inquiétante étrangeté, Clarimonde échappe à toute tentative de catégorisation, transcendant et brouillant les frontières entre les opposés. Elle incarne une dualité troublante : figure angélique, fragile, pure et virginale, elle exerce également une séduction perverse et irrésistible sur Romauld, amalgamant la lumière divine de la clarté et les ténèbres profanes du péché charnel. Incapable d’inscrire ses désirs au sein d’un cadre rationnel, Romuald oscille entre des interprétations divines et diaboliques, se demandant si Clarimonde est un « ange », un « démon », ou « peut-être tous les deux » (Gautier, 3). Son pouvoir de séduction n’est pas celui d’une femme, mais celui d’« une force occulte » : Romuald ne se perçoit pas comme un homme succombant à son désir sexuel, mais comme la « victime » d’une « fascination inexplicable » (Gautier 2-3).

À mesure que l’émerveillement initial suscité par son aura divine et lumineuse s’atténue, l’inquiétante étrangeté commence à prendre une forme plus poussée, et une terreur indicible s’empare du jeune prêtre, qui éprouve « une angoisse effroyable » qui « [se] tenaillait le cœur » (Gautier 3). Incapable de réconcilier la part refoulée de son être avec son rôle extérieur de prêtre pieux, Romauld projette son attirance pour Clarimonde dans le domaine du fantastique, où sa séduction se transforme en force transcendante, malveillante et irréelle : elle « ne sortait certainement pas du flanc d’Ève, la mère commune », mais doit plutôt être une « révélation angélique » dotée d’« une taille et un port de déesse » (Gautier 3). Le visage de Clarimonde devient pour lui un idéal esthétique suprême : « Les plus grands peintres, lorsque, poursuivant dans le ciel la beauté idéale, ils ont rapporté sur la terre le divin portrait de la Madone, n’approchent même pas de cette fabuleuse réalité » (Gautier 2). Elle incarne une beauté si sublime, si irréelle, que « ni les vers du poète ni la palette du peintre n’en peuvent donner une idée » (Gautier 2). Cette transposition de Clarimonde dans une sphère irréelle illustre la confusion croissante entre l’inquiétante étrangeté et le fantastique, culminant avec la révélation de sa nature vampirique qui déclenche l’étape suivante de « l’inquiétante étrangeté » : le moi de Romuald se scinde et se dédouble. La découpage qu’elle provoque entre son moi sexuel éveillé et son moi pieux extérieur le rendu méconnaissable à lui-même : « Je n’étais plus le même et je ne me reconnus pas » (Gautier 16). Ce dédoublement intérieur se manifeste littéralement par la double vie qu’il est contraint de mener, avouant vers la fin qu’il y avait « en [lui] deux hommes dont l’un ne connaissait pas l’autre » (Gautier 17). L’inquiétante étrangeté, ayant provoqué le brouillage des frontières et incité au dédoublement du sujet, se révèle ainsi donc comme le catalyseur du fantastique dans le conte : c’est désormais le surnaturel qui prend place dans le récit. En incarnant l’ambiguïté essentielle du fantastique et le brouillage des frontières propre à l’inquiétante étrangeté, Clarimonde révèle l’inséparabilité intrinsèque entre ces deux dimensions du récit de Gautier.

Dans « La morte amoureuse », l’irruption du fantastique trouve son origine dans le retour du désir refoulé, que Clarimonde, en tant qu’incarnation par excellence de l’inquiétante étrangeté, cristallise et matérialise. La puissance séductrice de Clarimonde ne relève pas simplement d’une force surnaturelle malveillante, ; elle agit comme un prisme révélateur, illuminant les recoins obscurs de l’âme de Romuald et faisant resurgir un désir latent enfoui dans les profondeurs de son inconscient. Ce désir, une fois débranché de son refoulement, plonge le récit dans le domaine du fantastique et propulse le surnaturel dans la narration. Chez Gautier, le fantastique émerge précisément à travers le déplacement du désir érotique : une pulsion réprimée qui, réveillée par l’inquiétante étrangeté, se matérialise sous une forme féminine et se manifeste dans les dimensions déroutantes du fantastique.

Bibliographie

Freud, Sigmund (1919). « L’inquiétante étrangeté » (Das Unheimlich). Traduit de l’Allemand par 

Marie Bonaparte et Mme E. Marty, 1933. LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES CHICOUTIMI, QUÉBEC. http://classiques.uqac.ca/Gautier, Théophile (1836). La morte amoureuse. 1836. La Chronique de Paris.

“Il faut choisir : vivre ou raconter:” The Ontological and Temporal Dimensions of the Aesthetic Realm in Jean Paul Sartre’s La Nausée

Il en est ainsi de notre passé. C’est peine perdue que nous cherchions à l’évoquer, tous les efforts de notre intelligence sont inutiles. Il est caché hors de son domaine et de sa portée, en quelque objet matériel (en la sensation que nous donnerait cet objet matériel), que nous ne soupçonnons pas.

Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 235

At first glance, the theory of relativity may appear completely separate from the world of art, but beneath the surface, both are directly concerned with the dimensions of time. In relativistic physics and aesthetic realms, time and space coexist and become a continuum in which all distinctions between past and present disintegrate, locked in a timeless unity where temporality is spatialized. To tell a story is to navigate between the imaginary and the real in order to translate human experience into an aesthetic phenomenon that can manifest the subjectivity of existence. The protagonists of the two thematically related novels Du côté de chez Swann and La Nausée are both vexed with an insatiable desire to decipher the nature of existence and endow their lives with meaning. For Proust, art transubstantiates the essence of the self into a universal and timeless aesthetic object by mnemonically rescuing and rediscovering the past to then preserve it within the eternal domain of aesthetics. For Antoine Roquentin, art becomes a remedy for the existential malaise he becomes relentlessly tormented by upon realizing the contingent, arbitrary, and superfluous character of existence. Although the absence of a discernible raison d’être in the world originally nauseates him, he eventually learns to reinterpret the hollowness as a blank canvas upon which he may autonomously sketch out his own picture. La Nausée examines the connection between art and philosophy – between the phenomenological attitude and the aesthetic attitude – to manifest the superphysical power of art to “convert the natural attitude toward the experienced world into the transcendental attitude toward one’s experience of the world” (Kaufmann 9). The narrators of Du côté de chez Swann and La Nausée apprehend art and the aesthetic experience as a vehicle for conveyance into an otherworldly metaphysical dimension. The obscure dimension that Marcel transports to via artistic activity becomes the ideal monument to reconnect the years and the places. In a similar fashion, the aesthetic experience transmits Antoine into the same, evanescent spatiotemporal realm that functions as sanctuary from the nauseating and revolting world around him and, eventually, a medium for constructing his role in the world. For Sartre, the burdensome weight of responsibility that humans must bear comes from the ineluctable freedom one has to choose: “il faut choisir : vivre ou raconter” (La Nausée 64). In other words, individuals possess the autonomy to choose between a life characterized by passivity and indifference or one marked by the relentless efforts of the individual to substantiate their existence. An experience can either fade away into the forgotten chasms of memory or be transformed and revitalized into something new, the past can either dissolve into irrevocability or be reinterpreted into the present and the future. No matter what unravels in the story of one’s life, the curse of freedom leaves each human responsible for how their story unfolds. For Sartre, a sense of meaning and purpose in life is not something that we search for and someday discover but something that each individual can choose to produce. After pages and pages imprinted with graphic descriptions of pain, Antoine Roquentin finds some sense of satisfaction in making the same choice as his creator, Jean Paul-Sartre, to write a fictional novel and go beyond the objective experience of human reality into the imagined ontological domains of narrativity. By writing their existence into an autobiographical narrative, Marcel, Antoine Roquentin and Jean Paul-Sartre all choose to raconter, transfiguring lived experiences into a work of art that transforms condemnation of humankind to be free from a nauseating curse to marvelous gift.

Years after Sartre wrote La Nausée, he published L’Être et le néant, further examining and elucidating many of phenomenological and metaphysical ideas that he pioneered fictitiously in the precursory novel. For Sartre, human beings participate in a dialectical relationship with the extraneous objects that surround them. The contrast between the dynamic, changing, and flux-like nature of human consciousness and the static and inactive condition of an object characterizes the dialectic. The human individual, despite having no permanence upon which to rely, must continually define and substantiate its condition through the many choices it makes. We are, for Sartre, condemned to be free, entirely responsible for every action taken. According to Sartre, the world is made up of two differing forms of being, the être pour-soi and its dualistic counterpart, the être en-soi: “Le pour-soi est son propre fondement en tant qu’il se fait l’échec de l’en soi pour être le sien. L’en-soi dépasse demeure et le hante comme sa contingence originelle” (L’Être et le néant 153). The ontological relation of the past to the present touches each and every human’s perception of the world, “Le Présent n’est pas ontologiquement “antérieur” au Passé et au Futur, il est conditionné par eux tout autant qu’il les conditionné, mais il est le creux de non-être indispensable a la forme synthétique totale de la Temporalité” (L’Être 177). Whereas the être en-soi, the unfree being of everything else in the world tethered to the purpose we assign to them, lacks the ability to move through temporal modes by means of consciousness, the être pour-soi must interweave the past, present, and future in order to authenticate their selfhood. The être pour-soi, a mode of existence entirely unique to the human level of consciousness which leaves us free to make autonomous decisions, must continually surpass the present: “La temporalité doit avoir la structure de l’ipséité…la Temporalité est l’être du Pour-soi en tant qu’il y a l’être extatiquement. La Temporalité n’existe pas, mais le Pour-soi se temporalise en existant….le Pour-soi ne peut être, sinon sous forme temporelle” (L’Être 172). The être pour-soi places itself in a temporal process by which the self refuses a past form of existence while simultaneously retaining a connection to its past moments. The future self realizes its past and negates it in order to project itself into the possibilities of the future: “Le Futur que j ’ai à être, au contraire, est tel dans son être que je peux seulement l’être: car ma liberté le ronge dans son être par en dessous. Cela signifie que le Futur constitue le sens de mon Pour-soi présent, comme le projet de sa possibilité, mais qu’il ne prédéterminé aucunement mon Pour-soi a venir” (L’Être  164). The être pour-soi must refuse instantaneity in order to maintain self-consciousness and continually move toward its own possibilities to access its liberation. The individual’s relation to the past can not be detached and external– for the self is affirmed when an individual recognizes and then subsequently surpasses its past moments in a process that reaffirms its forward movement. A self becomes an être pour-soi when it considers the domain of time – the past, present, and future – as a temporal process integral to their freedom and individuality. 

A sense of nausea and profound alienation manifests itself in the direct confrontation of the être pour-soi, Antoine Roquentin with the être en-soi, the external objects that makeup his surroundings. As Antoine views the external objects, he becomes progressively frightened by “the possibility that his own existence may be viewed in the manner that he is viewing external objects,” and his desire “to reduce each object to the irreducible in order to know its meaning and alleviate his fear” intensifies (Bantel 29-30). Instead of adopting the process of external negation, the act of consciousness whereby one can distinguish objects from each other, Antoine describes his existence from the same external perspective he applies to objects. He comprehends no isolation or separation between the pour-soi and en-soi, and since the existence of particular objects can no longer be explained in terms of the functions which he expects them to perform, Antoine cannot discern any inherent structure or necessity in the external world itself. As he bends down to pick up an object early on in La Nausée, he describes the opposition between the pour-soi and the en-soi that dominates his fears: “Les objets, cela ne devrait pas toucher, puisque cela ne vit pas. On s’en sert, on les remet en place, on vit au milieu d’eux : ils sont utiles, rien de plus. Et moi, ils me touchent, c’est insupportable. J’ai peur d’entrer en contact avec eux tout comme s’ils étaient des bêtes vivantes,” as if by touching the object he is coming into contact with an unknown part of himself (La Nausée 26). The individuality of all things, including himself, melts away, “il restait des masses monstrueuses et molles, en désordre – nues, d’une effrayante et obscène nudité” (La Nausée 182). His perception of objects becomes saturated with a sentiment of horror upon observing that “les choses se sont délivrées de leurs noms. Elles sont là, grotesques, têtues, géantes et ça parait imbécile de les appeler des banquettes ou de dire quoi que ce soit sur elles : je suis au milieu des Choses, les innommables. Seul, sans mots, sans défenses, elles m’entourent, sous moi, derrière moi, au-dessus de moi” (La Nausée 179). The sense of the conflict of existence derives from the acknowledgment by the human consciousness of physical objects and the sudden sense of contingency that follows: the realization that there is no apparent reason for any individual to exist in the world. Roquentin cannot bear to stomach the agony of confronting this vicious character of existence, and as he contends with the idea that existence is fundamentally contingent, absurd, and superfluous, he is invaded with feelings of nausea. Robyn Bantel defines this experience of nausea as: “The sudden, intensified awareness of facticity or embeddedness in existence which is based on a pre-existing but indistinct perception of the discrepancy between one’s contingency and the necessity which one is not and desires to be” (Bantel 26). Roquentin then experiences a second level of reflection, “a form of consciousness in which the pour-soi reflects upon itself in an attempt to grasp itself, to realize a form of identity” as “the pour-soi attempts to achieve the status of an en-soi while remaining a pour-soi” (Goldthorpe 122). As the plot of La Nausée progresses, Antoine disheartenedly learns that “the attempt to halt time, in order to capture events and objects, analyze them to the irreducible, and ascertain their pattern through the act of verbal recording, is futile” (Bantel 29). Roquentin fails to acknowledge his own freedom and consequently allows time to pass him by as if he himself were just another object, searching for an elusive meaning in life rather than constructing it with his own hands.

For Roquentin, who conceives of himself as living in the momentary instant disconnected from his past and future, the past seems external. There is no bridge between the present and the past with which he can distinguish memory from imagination: “Je construis mes souvenirs avec mon présent. Je suis rejeté, délaissé dans le présent. Le passé, j’essaie en vain de le rejoindre : je ne peux pas m’échapper” (La Nausée 56). As Sartre explained in L’Être et le néant, any being who cannot navigate through time cannot assert an authenticated self; for this reason, Roquentin cannot access his own liberation. Upon hearing of the fate of Lucienne, Roquentin compares her violent assault to how he feels his relation to his existence and to the past roughly takes him from behind: “L’existence prend mes pensées par-derrière et doucement les épanouit par derrière : on me prend par-derrière, on me force par-derrière de penser, donc d’être quelque chose” (La Nausée 148). Earlier in the same journal entry, he writes, “Le vraie nature du présent se dévoilait : il était ce qui existe, et tout ce qui n’était pas présent n’existait pas. Le passé n’existait pas. Pas du tout” (La Nausée 139). After years of attempting to resuscitate the past by way of his historical research on the M. de Rollebon, a discouraged Antoine Roquentin dejectedly concludes that the past does not exist at all. The violating imagery that Antoine employs to describe the assault of Lucienne illustrates the external ontological structure of Roquentin’s temporal consciousness. His relationship to the past is defined by internal negation: “one is distinct from one’s past-one nihilates each passing instant-not by an external negation that radically separates the for itself from its past, but by an internal negation that qualifies or characterizes the for-itself” (Clayton 8). The past is not a medium for transformation but is instead something either that “prend” him “par-derrière,” and pushes his consciousness to free, or something that “n’existait pas.” Antoine’s flight from the past is an attempt to flee from contingency: “La fuite du pour-soi est refus de la contingence, par l’acte même qui le constitue comme étant fondement de son néant […] le temps de la conscience, c’est la réalité humaine qui se temporalise comme totalité qui est elle-même son propre inachèvement. Il n’y a jamais un instant ou l’on puisse affirmer que le pour-soi est, parce que, précisément, le pour-soi n’est jamais” (L’Être 184- 85). In his struggle to both chronicle history and tell his story, Antoine conflates the two, integrating the events of M. de Rollebon’s life into his own experiences until there is little difference between them, underling his incapability to navigate through time and thus authenticate himself as a être pour-soi and substantiate his identity.

For three years, Antoine has devoted his time to trying to make sense of the life of Marquis de Rollebon, carefully tracing his movements, recounting his political fortunes and misfortunes, and trying to draw a complete picture of the man from the historical documents he finds at his local library. However, he grows increasingly frustrated as he is continuously met with the disparities and incongruencies of the historical testimonies: “Et pourtant les autres historiens travaillent sur des renseignements de même espèce. Comment font-ils? [. . .] Ce sont des hypothèses honnêtes et qui rendent compte des faits: mais je sens si bien qu’elles viennent de moi” (La Nausée 29–30). His attempt at writing a factual historical biography turns out to resemble a mere work of fiction: “j’ai l’impression de faire un travail de pure imagination,” and he eventually surmises that “il fallait plutôt que j’écrive un roman sur le marquis de Rollebon” (La Nausée 30, 90). Antoine becomes keenly aware that he cannot represent Rollebon’s past events without simultaneously altering them, thereby assuming that history has no inherent meaning and realizing that his project is ultimately a sham in which “he has used the Marquis as a sanctuary in which to hide from the pain of self-discovery and creativity” (Bantel 31). Demoralized, he acknowledges that history is no longer what it seemed and declares, “Je commence à croire qu’on ne peut jamais rien prouver. Ce sont des hypothèses honnêtes et qui rendent compte des faits: mais […] les faits s’accommodent à la rigueur de l’ordre que je veux leur donner mais il leur reste extérieur” (La Nausée 30). By identifying his sense of self with a historical figure who lived in the remote past, his own past withers away along with the forgotten life of M. de Rollebon into a mere collection of words. His memories lose all sense of intimate connection to his present self as they have become objects of historical investigation rather than his own previous lived experiences: “Mais je ne vois plus rien: j ’ai beau fouiller le passé je n’en retire plus que les bribes d’images et je ne sais pas très bien ce qu’elles represented, ni si ce sont des souvenirs ou des fictions… …il ne reste plus que des mots: je pourrais encore raconter les histoires, les raconter bien…mais ce ne sont plus que des carcasses…je rêve sur des mots, voilà tout” (La Nausée 55-56). 

Disenchanted with his desire for the mere existence of the past to provide a justification for his existence, he admits: “M. de Rollebon était mon associé : il avait besoin de moi pour être et j’avais besoin de lui pour ne pas sentir mon être” and accepts that “M. de Rollebon représente, à l’heure qu’il est, la seule justification de mon existence” (La Nausée 106, 143). After deciding to abandon his fixation with M. de Rollebon, who previously represented “le seule justification” for his existence, Roquentin no longer can discern a meaningful purpose in his life: “Je n’écris plus mon livre sur Rollebon ; c’est fini, je ne peux plus l’écrire. Qu’est-ce que je vais faire de ma vie?” (La Nausée 138). His melancholy conclusion that “je n’existais plus en moi, mais en lui,” pushes him to recognize that he can no longer simply exist in the past as if separate from his future; he must use the present and the future to justify his existence and affirm his selfhood, for his past will only continue to move away from him unless he can reconstruct it in the present (La Nausée 143). A self detached from its past becomes lost in the present, devoid of history and meaning: “Je suis libre : il ne me reste plus aucune raison de vivre, toutes celles que j’ai essayées ont lâché et je ne peux plus en imaginer d’autres” (La Nausée 221). Without M. de Rollebon, the feelings of control he once had over the temporal structures that confine his sense of sense crumble:

“A présent, quand je dis “je”, ça me semble creux. Je n’arrive plus très bien à me sentir, tellement je suis oublié. Tout ce qui reste de réel, en moi, c’est de l’existence qui se sent exister. Je bâille doucement, longuement. Personne. Pour personne, Antoine Roquentin n’existe. Ça m’amuse. Et qu’est-ce que c’est que ça, Antoine Roquentin? C’est de l’abstrait. Un pâle petit souvenir de moi vacille dans ma conscience. Antoine Roquentin… Et soudain le Je pâlit, pâlit et c’en est fait, il s’éteint” (La Nausée 239).

At last, he acknowledges his solitary condition: “Mon passé est mort, M. de Rollebon est mort, Anny n’est revenue que pour ôter tout espoir. Je suis seul dans cette rue blanche que bordent les jardins. Seul et libre. Mais cette liberté ressemble un peu à la mort” (La Nausée 221). It is within this solitude that he finally comes to terms with his freedom. After years and years of trying to evade the weight of human responsibility, it makes sense that he would draw a comparison between his realized liberty and death, for the images he once had of himself, time, and existence have all been shattered and replaced. With Anny and M. de Rollebon gone, he must now assume the task of constructing Antoine Roquentin.

Staring at the root of a chestnut tree, Roquentin finally uncovers the source of his mysterious malady of nausea and articulates the experience into words:

“L’essentiel c’est la contingence. Je veux dire que, par définition, l’existence n’est pas la nécessité. Exister, c’est être là, simplement; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. Il y a des gens, je crois, qui ont compris ça. Seulement ils ont essayé de surmonter cette contingence en inventant un être nécessaire et cause de soi. Or aucun être nécessaire ne peut expliquer l’existence: la contingence n’est pas un faux-semblant, une apparence qu’on peut dissiper; c’est l’absolu, par conséquent la gratuité parfaite. Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même. Quand il arrive qu’on s’en rende compte, ça vous tourne le coeur et tout se met à flotter, comme l’autre soir, au Rendez-vous des Cheminots: voilà la Nausée; voilà ce que les Salauds – ceux du Coteau Vert et les autres – essaient de se cacher avec leur idée de droit. Mais quel pauvre mensonge: personne n’a le droit; ils sont entièrement gratuits, comme les autres hommes, ils n’arrivent pas à ne pas se sentir de trop. Et en eux-mêmes, secrètement, ils sont trop, c’est-à-dire amorphes et vagues, tristes” (La Nausée 187).

As Bernd Jager suggests: “Roquentin looks upon vegetation with a mixture of disgust and envy that reflects his ambivalent feelings about the self-evident ties that connect a plant to its ground. A tree is at one with its ground, but man is his own ground in the manner of not being it” (Jager 268). What Jager underlines here is ultimately “the conflict of being and stresses the difference between being-in-itself (trees), seen as a non-changing, stable and therefore powerful being, and being-for-itself, or human consciousness, which lacks this concrete stability of nature as it is always fleeting, changing. Thus, consciousness wants to become something it can never fully be. As a result, a sense of nausea occurs” (Jager 269). Roquentin wishes to be something that he is not, an être en-soi, so that he does not have to carry the burden of consciousness and can elude the acute awareness of contingency that the être pour-soi is condemned to. Not only does he desire to become an external object, a different mode of being, but throughout La Nausée yearns for and aspires to be an aesthetic object, a mode of existence so far detached from human reality that it possesses its own dimension of spatio-temporality: “The for-itself seeks to overcome the threat of objectivity by becoming an object or aspiring to an ideal state, while at the same time seeking to maintain its subjectivity in order to be the intentional master of objects” (Bantel 28). The jazz tune “Some of These Days” is a medicine, un soulagement, for the nauseating sickness that torments him. It is a non-existent melody separate from himself and the external objects that continue to disorient and disgust him, the tune is not bound to the ontological domains that the être pour-soi and the être en-soi are tied to. As Mark Caroll contends, “Some of these Days” provides a temporary relief for Roquentin because “it offers an ideal form of existence, a flight into an imaginary realm that helps him to reconcile the freedom-cum-straitjacket of pour-soi with the finite en-soi of the world around him” (Carroll 398). Within the aesthetic domain the song rules over, the opposition between the être pour-soi and the être en-soi collides metaphorically into an ideal state that provides Antoine with the imaginative power to alleviate the burden of contingency by transcending from concrete reality into the realm of the unreal. La Nausée presents art as an instrument for one to take the tangible elements of reality and transfigure them into a subjective experience, imagining consciousness as a self in a world outside reality, far beyond this world. Antoine realizes that although he himself cannot truly exist as an object in the ontological dimension of aesthetics, he has the power to construct Antoine Roquentin within that space by means of narrativity.

Upon hearing the melodious tune for the first time, Antoine expresses an awakened feeling of surprise at “comme il est étrange, comme il est émouvant que cette dureté soit si fragile. Rien ne peut l’interrompre et tout peut la briser,” and enters a marvelous rapport with the music that allows him to recharacterize his lived experiences in the past without diminishing their significance (La Nausée 41). For Sartre, “the work of art is an irreality,” it has a life of its own (The Imaginary 188). Commenting on the sounds of the Ninth Symphony of Beethoven, Sartre writes, “It is not simply outside time and space – as are essences, for example: it is outside the real, outside existence. I do not really hear it, I listen to it in the imaginary” (The Imaginary 193). In an attempt to describe the jazz tune, Roquentin discovers: “Il y a un autre bonheur : au-dehors, il y a cette bande d’acier, l’étroite durée de la musique, qui traverse notre temps de part en part, et le refuse et le déchire de ses sèches petites pointes ; il y a un autre temps,” highlighting the unique spatio-temporal dimension of the artistic realm (La Nausée 41). To create a work of art, one must first imagine a consciousness that posits the aesthetic object as irreal: it is neither a thing nor a mere representation but an imaginary being which does not exist in any spatio-temporal sense. For Roquentin, “the tune represents the intelligible world of totality and value to which the human being aspires in his project to escape contingency” (Bantel 34). Roquentin captures this conception of art as a distinctive irreality when he describes the tune as something non-existent: “Elle n’existe pas. Elle est au-delà – toujours au-delà de quelque chose, d’une voix, d’une note de violon. À travers des épaisseurs et des épaisseurs d’existence, elle se dévoile, mince et ferme et, quand on veut la saisir, on ne rencontre que des existants, on bute sur des existants dépourvus de sens” (La Nausée 245). Sartre’s aesthetic theory maintains that the spectator and the artist need to use their imagination in order to evoke the imaginary object and place it in the imaginative realm. In other words, the phenomenon of imagination is an act.

When describing what she names “un moment parfait,” Anny remarks that “en somme, c’est une sorte d’oeuvre d’art” (La Nausée 210). Throughout La Nausée, Antoine reflects upon the experiences of “aventure,” “les moments parfaits,” and, of course, the musical melody of “Some of These Days,” all of which are revealed to be inextricably linked by a common thematic thread concerning transformation. Antoine expresses melancholy upon realizing that these experiences have been mostly inaccessible to him throughout his life: “Je n’ai pas eu d’aventures. Il m’est arrivé des histoires, des événements, des incidents, tout ce qu’on voudra. Mais pas des aventures” (La Nausée 61). He distinguishes between a lived experience and an adventure, describing an adventure as a process by which one transforms real events into stories: “Voici ce que j’ai pensé : pour que l’événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu’on se mette à le raconter. C’est ce qui dupe les gens : un homme, c’est toujours un conteur d’histoire, il vit entouré de ses histoires et des histoires d’autrui, il voit tout ce qui lui arrive à travers elles ; et il cherche à vivre sa vie comme s’il la racontait. Mais il faut choisir : vivre ou raconter” (La Nausée 64). In order words, “ce sentiment d’aventure ne vient décidément pas des événements […] C’est plutôt la façon dont les instants s’enchaînent,” one must transform their experiences into adventures by means of narrativity (La Nausée 87). James Gibbs summarizes the distinction between an event and an adventure when he writes, “An event takes place in the midst of existence and is therefore irrational, arbitrary and superfluous, whereas an adventure must, in order to be recounted, impose order, intelligibility and meaning upon the event: thus transforming it into something else entirely” (Gibbs 67). In the same fashion, Anny describes the process by which one can transform “les situation privilégiées” into “les moments parfait:” “Puis la situation privilégiée, lentement, majestueusement, entre dans la vie des gens. Alors la question se pose de savoir si on veut en faire un moment parfait” (La Nausée 210). She writes that, like transformative and creative experiences of human activity, it all comes down to a matter of choice: “Il fallait transformer les situations privilégiées en moments parfaits. C’était une question de morale” (La Nausée 210). Implicit in this obligation is the idea of the creative act as the transforming agent, calling forth the creative choice that one makes upon entering a relationship with the moment that one is meant to transform. As Friz Kaufman argues, “To create, then, is to separate, to exclude, to deny a whole by intending a fraction of that whole. The daring and inventiveness of the artist lie in the risk he takes in rejecting both the traditional picture of experience and the traditional way of comprehending that experience” (Kaufman 81). At the heart of Sartre’s existentialist aesthetic theory, the art object demonstrates both the real and unreal qualities of existence, yet still leaves room for imaginative thought to reconstruct reality. The act of reflection does not merely represent the past but consolidates it, transforming it altogether. Whether it be through “un moment parfait,” “un aventure,” or “un oeuvre d’art,” the interplay between reflection and creation weaves the past into a meaningful whole. 

For Sartre, experiences summoned by reflection and then reimagined by creation change their form and become a part of one’s past and one’s story. Memory provides the prism through which experience passes, and the past becomes intelligibly inserted into the present and future. The particular narrative medium of autobiographical reflection, creates a self which can arrange past events into meaningful structures and thus endow one’s life with significance. The magic of the narrative and aesthetic experience lies in the weaving of the past with the present and the future to create a meaningful synthesis of one’s lived experiences and identity. The different temporal modes of human experience exist in a continuum: “mais derrière l’existant qui tombe d’un présent à l’autre, sans passé, sans avenir, derrière ces sons qui, de jour en jour, se décomposent, s’écaillent et glissent vers la mort, la mélodie reste la même, jeune et ferme, comme un témoin sans pitié” (La Nausée 247). For Sartre, instead of being a purely chronological affair, the past is monumentalized by interpretative decisions that acquire a new order of meaning: “C’est que la seule force du passé lui vient du futur: de quelque manière que je vive ou que j ’apprécie mon passé, je ne puis le faire qu’à la lumière d’un projet de moi sur le futur. Ainsi l’ordre de mes choix d’avenir va déterminer un ordre de mon passé et cet ordre n’aura rien de chronologique” (L’Être 544). Self-definition and the justification of present decisions come together in an ever-changing interpretation of the meaning of the past.

For Sartre, leaving behind the imprint of an aesthetic object is the ultimate way to combat the absence of an inherent, prevailing meaning and relieve the nausea that emanates from the contingency of existence. As the novel concludes, Roquentin realizes that he does not wish to write history books but instead wishes to compose a work of fiction: an autobiographical novel. His narrative must be autobiographical, for he must construct no one other than himself within that imaginary aesthetic realm he aspires to: “Il faudrait que ce soit un livre : je ne sais rien faire d’autre. Mais pas un livre d’histoire : l’histoire, ça parle de ce qui a existé – jamais un existant ne peut justifier l’existence d’un autre existant” (La Nausée 249). Through art, “le Moi jaillit dans la conscience” (La Nausée 241). The artist is the quintessential free individual, liberated from the confines that typically restrict the être en-soi and afflict the être pour-soi. As Antoine intently listens to the rhythm of “Some of These Days,” the novel’s paradigmatic example of free and creative activity, he comprehends that “if he were to assume the role of the creator of the tune, he would thereby become the subject rather than object of existence through the process of unifying the plurality of unconnected, nauseous fragments of the objective world” (Bantel 28). For Sartre, “the choice of a creative literary project means assuming an active rather than passive role in the artistic transformation of events” (Bantel 36). La Nausée offers the individual the dichotomy of choice, and the act of choice, for Sartre, is one of both total responsibility and anguish. L’autodidacte expresses the freedom one has to manufacture a meaningful life when he tells the narrator, “la vie a un sens si l’on veut bien lui en donner” (La Nausée 162). The past is no longer something that “prend” Roquentin “par derrière” and incites him to flee from freedom, nor does “le passé n’existait pas,” rather, the past is something that provides us with the unique opportunity to situate and define who we are for ourselves (La Nausée 139).

La Nausée follows the shifting perspective of Antoine Roquentin as he contends with the fundamental existentialist choice: “vivre ou raconter,” and continually struggles to free himself from his inability to reconstruct the past and from the utter contingency of existence in order to stamp upon existence his own image. As Roquentin grapples with his disorienting desire to be either an être en-soi or an aesthetic object, his melancholic and bewildering confrontation with the contingent, superfluous, absurd and seemingly meaningless character of existence somatically manifests itself through the grotesque and painful malady he describes as nausea. For Sartre, Roquentin’s nausea is ultimately the experience of what it means to be an être pour-soi in a world devoid of meaningful order. We are, like Antoine Roquentin, born into a world devoid of any meaning that we do not create ourselves. To combat this essentiel condition, Antoine attempts to categorize the external objects around him and order the experiences of his past all in vain. It is not until he loses everything, each and every one of his illusory justifications for existence, each person that at one time gave him a deceptive sense of purpose– Anny, Rollebon, l’Autodidacte– that he can finally come to terms with the freedom that underlies his condition. To be free is to self-consciously accept the burden of admitting and facing the emptiness of the human condition and assuming an active role within its vacuum. In the jazz tune “Some of These Days,” Antoine hears the sound of an abstract aesthetic object and its ability to move beyond into an ideal spatiotemporal dimension separate from experiential reality on earth. For those who choose “raconter,” art becomes an instrument within the dialectic of being to both discover and affirm oneself through fictionalizing, narrativizing, and thus transcending reality. At the end of the novel when Antoine Roquentin speaks the words “faire quelque chose, c’est créer de l’existence” into existence, he captures a core existential truth about the human condition that took two-hundred-fifty pages to finally discover: meaning is entirely dependent on the individual that constructs it (La Nausée 243). To be human is to then bear the nauseating weight of responsibility that comes with being a free agent, but is it that freedom that allows us to live meaningful lives and even narrate or sketch an imprint upon the world as Jean Paul-Sartre once did when he chose to transform the human condition into La Nausée.

Works Cited

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Gibbs, James. “Reading and Be-Ing: Finding Meaning in Jean-Paul Sartre’s ‘La Nausée.’” Sartre Studies International, vol. 17, no. 1, 2011, pp. 61–74. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/23512864.

GOLDTHORPE, RHIANNON. THE PRESENTATION OF CONSCIOUSNESS IN SARTRE’S LA NAUSÉE AND ITS THEORETICAL BASIS: REFLECTION AND FACTICITY1, French Studies, Volume XXII, Issue 2, April 1968, Pages 114–132, https://doi.org/10.1093/fs/XXII.2.114

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Jager, Bernd. “Sartre’s Anthropology: a philosophical Reflection on Sartre’s La Nausée”, in The Philosophy of Jean-Paul Sartre, ed. PA. Schilpp (La salle, Illinois: Open Court, 1981), 485.

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Proust, Marcel. Du côté de chez Swann in À la recherche du temps perdu. Gaston Gallimard, 1913.

“L’autre inconnu”: The Impenetrable Nature of Love and Being in Madame de Lafayette’s Zayde, histoire espagnole

“For the moment after we know nothing about him. Such is the manner of our seeing. Such are the conditions of our love.”

Virginia Woolf, Jacob’s Room

Intrinsic to each human encounter is a fragile interplay between l’altérité and la ressemblance, an obsessive awareness of the similarities and differences that ineluctably shape each human relation. We yearn to see a mirrored reflection of our being in our double. We become captivated by those most similar to us while alienating ourselves from those most different, labeling and casting them aside as the impenetrable other. As beings who long to be understood and known by others, we find solace in resemblance and fear l’etranger, turning away from the unknown and towards the familiar. We use language, race, and gender to communicate, classify, and segregate, to evade l’inconnu and seek out la connaissance de nous-mêmes only to discover that, despite all our endeavors, truly knowing another human being is not only difficult but perhaps impossible. Images of the double and the other permeate Madame de Lafayette’s Zayde. Character pairings like Alamir and Consalve or Zayde and Félime mirror each other like doppelgängers, and yet each character still emerges in the text as an alienated other, a lonely man in exile or a beautiful woman that men can only see through a translucent gaze. Even though characters that long to be understood and doubles that mirror each other dominate the plot of Zayde, the characters remain mostly unknown, staring into illusory portraits of each other rather than into one another’s souls. The characters personify the innate human desire to be understood. The lovers in Zayde try to use bodily narration, language, and portraiture to access the object of their desire. However, the other remains indecipherable, and erotic love becomes a fickle illusion based not upon authentic connection but upon superficial idealization. In an attempt to understand the objects of their desire, the male characters in Zayde assume false knowledge of their beloved that consequently alienates them in the process and magnifies their alterity, preventing the women of Zayde from ever being known and enforcing the emotional distance that engulfs the lovers. Portraits produce misrepresentations, language results in miscommunication, erotic love engenders idealized illusions, and l’autre eternally remains l’inconnu.

A profound desire to be loved and understood besets the characters of Zayde and characterizes their doomed attempts at acquiring genuine amorous intimacy. Impeded by linguistic and cultural barriers, Zayde and Consalve continuously struggle to make themselves and their sentiments known to each other. Consalve’s double, the philandering Prince Alamir, likewise laments over his unknowability and lack of intimacy: “il ne cherchait que le plaisir d’être aimé; celui d’aimer lui était inconnu: il n’avait jamais eu de véritable passion” (Lafayette, 202). The characters are always encumbered by some internal or external obstacle that ensures their indeterminacy and alienation. For Alamir, his adulterous and philandering tendencies preclude him from satisfying his desire to be loved as an individual. For Zayde and Consalve, it is extrinsic barriers that limit their passion. The male characters Alphonse, Consalve, and Alamir are all tied together by their ensnarement in a vicious cycle of desire and jealousy that guarantees their self-destruction and loss of love. Although characters inevitably misunderstand each other, they nonetheless continue to try and express their sentiments and selfhood through various methods – one of which is narration. The characters relate their stories to each other through interpolated didactic episodes continuously woven through the narrative fabric of Zayde. Peter Shoemaker captures this idea by describing Zayde as “a patchwork of confidences – a series of first-person ‘internal narratives’ in which each character relates experiences from his/her past to a confidant” (48). The characters attempt to grasp psychological insights and express abstract truths through the perception and communication of fragmentary individual experiences. However, the subjective nature of a narrative inevitably fails to capture the other fully and instead unveils their impenetrability. Ellen Welch writes, “Lafayette’s interlacing of these different narratives exposes a multiplicity of types of Otherness” (3). Zayde is thus a paradox; it is a narrative about love that uncovers the insufficiencies and inadequacies of its subject and medium. Zayde can be read as an endeavor to grasp and express the human condition, which ultimately reveals it to be incomprehensible.

The nature of l’amour is inextricably entwined with étonnement and surpris. After all, one falls in love, on tombe amoureux, rather than builds love. Love is commonly seen as a violent outburst of emotion, an inescapable compulsory passion that consumes the senses. The word l’amour evokes elements of surprise and impuissance that are entangled with the act of falling in love. Something is surprising only when it is unexpected or unusual; if we know what will happen, there is no surprise. Thus, for many, falling in love presupposes a lack of knowledge, an element of étonnement that perceives l’autre as l’inconnu. When contemplating what gives events meaning, Gary Saul Morson quotes philosopher Mikhail Bakhtin: “the concrete act ‘cannot be transcribed in theoretical terms in such a way that it will not lose the very sense of its eventness’ (22). For Bakhtin and Morson, “without [eventness], the event becomes a mere shadow of itself, and the present moment loses all the qualities that give it special weight” (22). Above all, a meaningful event “must produce something genuinely new,” for “when the present simply actualizes what had to happen, events lack eventness” (22). The representation of love in Zayde is likewise enveloped in surpris and étonne, words that recur throughout every meaningful interaction and relation that occurs in the novel and thereby highlight the importance of “eventness” for love. Upon meeting for the first time, Consalve and Alphonse are immediately astonished by each other’s beauty: “Il fut étonné de la bonne mine de cet inconnu, comme cet inconnu l’avait été de la sienne” (51). In the same manner, Zayde immediately enchants Consalve as he struggles to make sense of her unusual, shocking beauty: “Consalve ne pouvait exprimer, par ses paroles, l’admiration qu’il avait pour elle; il faisait remarquer sa beauté à Alphonse, avec cet empressement que l’on a pour les choses qui nous surprennent, et qui nous charment” (57–8). To further emphasize his astonishment, Consalve sees Zayde’s beauty as so extraordinary that it appears to transcend the limits of morality for him: “Il était si charmé de tout ce qu’il voyait dans cette étrangère, qu’il était prêt de s’imaginer que ce n’était pas une personne mortelle” (57). As Consalve “regarda avec étonnement la beauté de sa bouche […] il ne pouvait exprimer, par ses paroles, l’admiration qu’il avait pour elle,” he immediately falls in love with Zayde without ever having spoken to her once (57–8). The “eventness” and surpris that his love is predicated upon even manifests through his own words: “il n’y a de passions que celles qui nous frappent d’abord, et qui nous surprennent : les autres ne sont que des liaisons où nous portons volontairement notre cœur” (107). His purely aestheticized love for Zayde is founded upon l’étonnement de sa beauté – not upon la connaissance de son esprit.

Consalve loves Zayde not for who she is but for whom she appears to be. He admits he knows nothing about the woman he proclaims to love: “Je n’avais jamais cru pouvoir être amoureux par la beauté seule […] cependant j’adore Zayde, dont je ne connais rien, sinon qu’elle est belle, et qu’elle est prévue pour un autre” (106). Consalve’s superficial love for Zayde results in a relationship where he himself must interpret her appearance, gestures, and actions through the limited confines of his own gaze, rendering him incapable of genuinely knowing Zayde. Consalve sees Zayde’s beauty as so wondrous and exceptional that she becomes an exotic enigma in his mind. Within the bounds of his masculine gaze, Zayde transforms from un femme to l’autre. Instead of trying to get to know her sincerely, Consalve falls in love with her alterity. He loves nothing but an idealized, illusory image. When the illusion fades and he is left with her authentic self, his admits himself that his love will disintegrate: “mais sitôt qu’elle sera guérie, je ne regarderai ses charmes que comme une chose dont elle ne se servira, que pour faire plus de trahisons, et plus de misérables” (58). Regarding romantic love, philosopher M.C. Dillon writes, “the transcendence of the other resides in her mystery, in the distance of the unknown […] for the romantic lover, the other is a mere token” (Dillon, 147). In the case of authentic love, on the other hand, Dillon writes: “the transcendence or otherness of the other resides in her unique perspective. And that is something the lover seeks to know and understand […] the very project of loving is predicated on my quest to know her in the many senses that word can have” (Dillon, 147). Consalve’s love for Zayde epitomizes Dillion’s vision of disingenuous romantic love rather than authentic love. Consalve’s love for Zayde, like many other depictions of love in the novel, is rooted in l’étonne of her beauty and mysterious alterity. He does not seek “to know her in the many senses that word can have” because his love is anchored in her mystery, alterity, and otherness rather than anything substantial regarding her essence (147). If he were to truly know Zayde, his romantic illusion might shatter. She must remain the unknowable other. 

In Zayde, the characters’ tumultuous inner struggle between their alienation and desire to be understood is subtly woven within their dialogic narratives of exile, betrayal, and unrequited love. Strangely enough, however, the eponymous protagonist who perhaps suffers from the most poignant form of alienation in the novel does not once relate her own story. Silenced in a novel where the characters voice their own narratives, Zayde remains utterly unknowable to the reader. She is distanced and exotic, the impenetrable l’autre inconnu, and paradigmatic of all the other othering of women that transpires throughout Zayde. Her mutism is contrasted with characters who speak on her behalf and obstruct the reader’s understanding of her innermost thoughts and emotions. Lafayette contrasts Zayde’s marginalization, silencing, and indeterminacy with the novel’s interpolated narrative structure to reveal the difficulties that arise from a lack of space for the female voice. The novel frequently describes Zayde’s foreignness and alterity, yet the only ostensibly exotic aspect of Zayde seems to be her exceptionally beautiful appearance. Nothing about her spirit implies that she is as alien as she is made out to be. Welch writes, “despite her Moorish clothes, Zayde is of Greek rather than Arabic or African origin. After Zayde learns Spanish, we discover that she has been raised as a Christian by her Christian mother” (Welch, 8). After she undergoes assimilation and the remnants of her exotic past dissipate, “Zayde [becomes] a successfully integrated, model’ immigrant,’” her professed alterity seems to dissolve (8). Harriet Stone analyzes the process of othering in the novel through the figure of the Orient: “The Oriental, or rather the paradox of the novel that enhances the Oriental difference in order to suppress it, represents the self’s confrontation with its own alienation, i.e. with fiction as a model for the self’s identity” (Stone, 151). Zayde’s avowed otherness is, therefore, not a result of any legitimate alterity or peculiar quality of her psyche, but because she is deprived of a narrative voice and observed through the obfuscated gaze of others who consider her to be impassable.

While the female protagonists of Zayde lose their individuality within the clouded visions of the male gaze, the male characters in Zayde likewise lose their sense of selfhood by searching for it in women. The characters of Zayde, both male and female alike, are therefore not only undiscoverable to each other but also to themselves. Consalve looks to others, especially women, to confirm his identity and affirm his significance as an individual. In doing so, he loses grip on his sense of selfhood when he becomes plagued by a fit of irrational jealousy that leads him to misguidedly believe himself to be merely the mimetic image of another: ‘il s’imagina qu’il ne devait qu’à la ressemblance de son rival le penchant qu’elle avait pour lui’ (116). He fears Zayde will never truly know or love him because he is simply a counterfeit echo of her true beloved. In a similar vein, Alamir has mastered the art of disguising himself and creating an external persona that feigns the appearance of loving and conceals his true intentions from women. He treats all women as irreplaceable and justifies his fickleness through his self-pitying rationale that women do not love him for his true self. He incessantly laments over his condition:

Naria croyait m’aimer […] mais elle aimait mon rang, et celui où je pouvais l’élever. Je n’ai trouvé que de la vanité et de l’ambition dans toutes les femmes; elles ont aimé le Prince, et non pas Alamir. Vous verrez […] que je ne serais pas incapable d’aimer fidèlement, si je pouvais trouver une personne qui m’aimât sans connaître ce que je suis

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Alamir irrevocably causes his own tragedy, for he only gets to experience being the object of love but never the subject of love. Never experiencing the mutual reciprocity required by authentic love, he deprives himself of what he desires most – to be loved as an individual. He disguises himself and cloaks his true character, ensuring the indeterminacy of his soul that inhibits him from being loved  “pour l’amour de lui-même” (220). No longer able to keep his identity a secret from Elsibery, he reveals himself as Alamir: “elle la laissa voir tout entière à Alamir; mais cette joie lui fut suspecte: il crut que le Prince de Tarse y avait part” (225). Elsibery is overjoyed by this discovery, delighted to behold the magnitude of her lover’s passion, and relieved to learn he was not unfaithful. However, instead of appreciating her joy and forgiveness, Alamir’s fatal mistrust of women induces an irrational suspicion that she now only loves him because he is the Prince de Tarse. Like Alphonse and Consalve, Alamir starts to interpret every gesture as a betrayal, “ce redoublement d’amour lui parut une infidélité, et lui causa le même chagrin que la diminution lui en aurait dû causer,” and his passion for Elsibery deteriorates alongside his hopes of ever being anything but impregnable to another (225).

Zayde is a complex melange of misunderstandings and impenetrable characters incapable of accessing authentic love. The characters see each other through a telescopic lens smudged with confusion, misinterpretations, and miscommunications. Julia Douthwaite labels this condition “chronic misunderstanding” and conjures up the impossibility of authentic communication within a novel where almost every character is othered: “Chronic misunderstanding recurs like a leitmotif in Zaïde and conveys an uneasy attitude toward the Other – be it foreign or female. Authentic communication, this novel seems to suggest, can only proceed between elements of Sameness” (34). The characters frequently attempt to apprehend one another through identification with their double and mimetic representations. In doing so, they see each other through the eyes of one another and grasp illusory images that oppose specification. In contrast to the figure of the other that pervades the novel, Zayde is a novel swarming with the image of the double. The recurring manifestations of le double and l’autre throughout Zayde demonstrate a back-and-forth movement between the dualistic forces of sameness and difference that Lafayette considers inseparable from each human interaction. The characters search for themselves in the reflections of le double and l’autre only to find their sense of selfhood all the more obscured as they encounter extrinsic and intrinsic obstacles that frustrate their chances at accessibility. Consalve, Alphonse, and Alamir all parallel each other, inextricably linked by a fundamental, paradoxical desire to be loved for lui-même despite never transcending superficiality and obtaining authentic love.

As the reader traverses the pages of Zayde and the plot unfolds, the doubles often repeat the same mistakes previously made by their doppelgängers and suffer from the loss of love and subsequent emotional isolation that follows as a result. Frustrated by the deemed indecipherable nature of their beloved, desperate male characters start speculatively assuming unfounded knowledge of their beloved rather than seeking out the truth. Soon, absurd, bogus claims begin to surface, and a sea of miscommunications and misinterpretations flood the characters’ minds and precipitate their demise. Consalve, unable to understand Zayde’s language, constructs for himself an unfounded, elaborate rationalization of her perplexing emotional distance and melancholy. He convinces himself that she sheds her tears for another love:

Il l’avait déjà vue pleurer au même lieu ; mais comme elle n’avait rien fait qui lui pût marquer le sujet de son affliction, il avait cru qu’elle pleurait seulement de se trouver si éloignée de son pays: il s’imagina alors que les larmes qu’il lui voyait verser, étaient pour un amant qui avait péri ; que c’était peut-être pour le suivre, qu’elle s’était exposée au péril de la mer ; et enfin il crut savoir, comme s’il l’eût appris d’elle-même, que l’amour était la cause de ses pleurs. (62)

His absurd and senseless jealous delusion does nothing but cause him immense suffering and psychological torment, mirroring the misguided, disastrous actions of both Alamir and Alphonse. All three protagonists, under a misguided effort to understand the woman they love, succumb to baseless, mistrustful assumptions that drive away the object of their desire and effectuate their prospective self-destruction.

For Lafayette, representation will always lack the precision needed to access another. Nonetheless, alongside the male tendency to presuppose unfounded knowledge lies the human propensity to use representation as another way to apprehend the complex subtleties and identities of others. The motif of portraiture that recurs throughout Zayde prompts another series of “constant misunderstandings” that expose the inadequacies and shortcomings of mimetic representation. Consalve hopes to corroborate his misgiving that Zayde has lost her beloved in a shipwreck by producing a painting to portray his theoretical interpretation of Zayde’s situation. Consalve, in a futile attempt to better understand and represent the condition of Zayde, tells the painter to recapture an event that never happened: “qu’il fallait qu’elle pleurât en le regardant; qu’il y eût un autre homme à ses genoux qui essayât de l’ôter d’auprès de ce mort” (114). Although Consalve aspires to surmount the overwhelming void that he believes is hindering his love, using mere representation to try and access another disastrously fails. Zayde furiously effaces the imaginary dead man from the painting and becomes infuriated by her lover’s ill-founded suspicions that reveal how little he truly knows her.

Despite condemning Consalve, Zayde herself is not precluded from a predilection for representation. She yields to the astrologer Albumazar’s prediction that her future husband and beloved are none other than the mystifying, unknown man illustrated in the oracular portrait he gives her. As the story unfolds, it is revealed that Albumazar’s prophecy was not based upon any verifiable astrological studies. Albumazar, knowing that Zayde’s father, Zuléma, wished for her to marry the prince of Fez, fabricated a prediction to sway the heart of Zayde and please Zuléma. Strangely enough, however, “les  paroles  d’Albumazar  qu’il  a  dites  sans  dessein,  et  sur  une  ressemblance  où  il  s’est  mépris,  se  trouvent  une  véritable  prédiction,” the false prediction shockingly coming true when Zayde falls in love with Consalve, who somehow emerges as the mystery man depicted in the portrait (266). The portrait’s unforeseen and absurd verifiability underscores the irrationality of using portraiture and representation to access authentic knowledge of the self. Zayde’s love for Consalve is grounded on her insubstantial love for the fictitious man in the portrait, whom Consalve conveniently resembles, even though Lafayette suggests the prophecy has no factual basis. Akin to her lover, Zayde surfaces as being just as vulnerable to the allures of representation and mimesis. Her knowledge of Consalve is subject to the same kind of “chronic misunderstanding” that ensures the inauthenticity of her love.

Through the romance of Consalve and Zayde, Lafayette demonstrates how words alone cannot surmount the inexpressible void that exists between the two lovers. Language and narration become yet another “chronic misunderstanding” in the novel. Unable to communicate directly through language, Consalve and Zayde develop a contrived “langage de ses yeux,” a bodily language that tries to express their innermost feelings through looks, gestures, and other bodily movements (194). For these lovers, every glance and gesture becomes saturated with a shade of corporality, externality, and aestheticism that locates their flowering love far from the soul. Consalve “ne pouvait s’empêcher de laisser parler ses yeux d’une manière si forte, qu’il croyait voir dans ceux de Zayde, que leur langage était entendu,” and “comme [Zayde]  ne pouvait se faire entendre par ses paroles, ce n’était quasi que par ses regards, qu’elle expliquait à Consalve une partie des choses qu’elle lui voulait dire” (112). Up until the moment they learn each other’s language, Zayde and Consalve are unable to move beyond this superficial level of interaction with one another, and meaningful exchanges are nearly impossible given that the characters are only able to interpret each other through the surface of the body and not the depths of the soul. The novel endows the bodily communication between Zayde and Consalve with an air of distortion and erroneous interpretation that denies the existence of a legible “langage des yeux” and symbolizes the superficiality of love in the novel. Consalve tries to convince Zayde that they had shared meaningful insights into each other’s beings despite the impassable language barrier they encountered, but Zayde quickly corrects him: “je vous assure que tout ce que j’ai pu juger, c’est que vous aviez quelquefois beaucoup de tristesse,” acknowledging the emotional gulf between them (170). Even when they are finally able to speak to one another through words, their communication remains confused as they continue to misinterpret each other. Now impeded by internal barriers, Zayde and Consalve cannot seem to remedy the damage done by founding their love upon superficiality and aestheticism. Whether they speak with words or with a “langue des yeux,” the beloveds cannot decipher each other and remain unknowable.

The emotional labyrinth of the characters in Zayde overflows with an obsessive fixation on love, jealousy, and suffering – all of which are inextricably bound together in a continuous loop. Characters fall in love without genuinely knowing one another, eventually developing irrational feelings of jealousy and inexorable discontent over the lack of authentic intimacy in their amorous relations. Lafayette’s characters are tormented by the impossibility of apprehending or being apprehended by the object of their love. Time and time again, each character’s pain in Zayde echoes the pain suffered by their double. The anguish Consalve suffers is augmented by his inability to communicate his love to Zayde, while the misery of the lonely Alphonse and Alamir is exacerbated by the recognition of their own self-destructive amorous temperaments. The alienation that afflicts Zayde intensifies as she is continuously misunderstood, silenced, and othered, while the heartbreak that tragically scourges Félime prevails as long as Alamir blindly looks past her, oblivious to her love. For a novel filled with multiple interconnected love stories, none of the characters seem actually to love each other. Alamir’s love for women like Naria and Elsibery is a fleeting feeling that fades as quickly as it is lit. Consalve’s love for Zayde, whom he barely knows, is founded upon superficiality and aestheticism, while Zayde’s love for Consalve appears just as fickle and unfounded. Lafayette unveils that Zayde loves an unfounded, fabricated portrait, a mere representation of Consalve, rather than an actual person as the plot unfolds. Zayde wishes Consalve were the idealized, illusory image she has in her mind: “J’ai souvent souhaité que vous puissiez être celui à qui vous ressemblez” (170). The lovers in Zayde see one another through an obscured gaze, communicate through scribbled words, and claim to love one another despite barely knowing each other. Lafayette weaves together a complex narrative quilt of emotion and desire that lays bare the insufficiencies of representation and the difficulties of ever genuinely knowing and loving another human being. Love, which begins with the hope of escaping the pain of subjective isolation and being understood, ends with the lover feeling an even greater sense of isolation or succumbing to an idealized illusion of love. Erotic love, which repeatedly seeks to transcend separation by bridging the emotional divide between discontinuous beings, is conditioned upon the lover’s ability to grasp one another – not just in the body but in the soul. However, this vision of love is never captured in Zayde, a fictional realm filled with impenetrable beings. The insuperable conflict that permeates Zayde is the inability of humankind to comprehend one another, a clash between desire and capability that portrays each character, in some shape or form, l’autre inconnu – the unknown other for whom love is but a mere illusion.

Works Cited

Delehanty, Ann T. Disenchantment, Skepticism, and the Early Modern Novel in Spain and France. Routledge, Taylor & Francis Group, 2023.

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Lafayette, Marie-Madeleine Pioche de la Vergne. Zayde, histoire espagnole. Ed. Camille Esmein-Sarrazin. Paris: Gamier Flammarion, 2006. Print.

Shoemaker, Peter. “Lafayette’s Confidence Game: Plausibility and Private Confession in La Princesse de Clèves and Zaïde.” French Forum, vol. 27, no. 1, 2002, pp. 45–58. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/40552294. Accessed 18 Mar. 2023.

Stone, Harriet. “Reading the Orient: Lafayette’s “Zaïde”.” Romanic Review 81.2 (1990): 145. ProQuest. 18 Mar. 2023.

Welch, Ellen R. “Strangers Among Us: Aliens and Alienation in Lafayette’s ‘Zayde, Histoire Espagnole.’” Dalhousie French Studies, vol. 96, 2011, pp. 3–14. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/23621475. Accessed 18 Mar. 2023.

Woolf, Virginia. Jacob’s Room. Annotated and with an introduction by Vara Neverow, Harcourt, Inc., 2008.

Ensnared in Our Search for Lost Time: Memory and Transcendence in Du côté de chez Swann (Swann’s Way)

And so it is with our own past. It is a labor in vain to attempt to recapture it: all the efforts of our intellect must prove futile. The past is hidden somewhere outside the realm, beyond the reach of intellect, in some material object (in the sensation which that material object will give us) . . . And it depends on chance whether or not we come upon this object before we ourselves must die.

Marcel Proust, Swann’s Way, p.60-61

The title of the novel À la recherche du temps perdu by Marcel Proust has two distinct English translations. The first, “In Search of Lost Time,” is the literal translation. In contrast, the second, “Remembrance of Things Past,” comes from William Shakespeare’s “Sonnet 30:” “When to the sessions of sweet silent thought I summon up remembrance of things past, I sigh the lack of many a thing I sought, And with old woes new wail my dear time’s waste.” Although the words themselves may differ, the essence of the title “À la recherche du temps perdu” endures, unified through one thematic commonality: the concept of lost time. In the last volume of the novel, the narrator declares that “true paradises are the paradises we have lost” (Proust, Time Regained, 288). In Du côté de chez Swann or Swann’s Way, the narrator yearns to capture the “true paradises” of lost time through accessing his memory. Yet, ultimately he “preserves nothing of the past itself,” and is left ensnared in his ineluctable longing for the time he once lost (Proust 44). The narrator attempts to make sense of his existence by recreating his past memories through conscious recollection, yet discovers that only through involuntary memory can one transcend the present, uncover oneself, and regain lost time. Time is not recovered through a conscious recollection of images but through an unconscious remembrance of an experience. Amongst the many ways in which we attempt to grasp time and control fate, none of them immortalize human existence like the creation and consumption of art. We search our whole lives to feel the elusive bliss of a lost paradise, desperately weaving together the threads of our memory for just one touch. And yet, there are glimpses of eternity all around us – they exist through art.

At the end of Swann’s Way, the narrator embraces involuntary memory to reconstruct the past through literary expression. He confesses his feelings of dissatisfaction with the present and his yearning for the past as he laments over the ephemerality of passing moments: “I wanted to find [those moments] again as I remembered them…they had fled long since as I still vainly questioned the deserted paths” (Proust 442). In the epiphanic final passage, the narrator realizes, “what a contradiction it is to search in reality for memory’s pictures, which would never have the charm that comes to them from memory itself and from not being perceived by the senses,” and then remarks, “the reality I had known no longer existed” (Proust 444). In the final passage of Swann’s Way, Proust reflects on the way that the fulfillment of one’s happiness and desire depends heavily on the passage of time:

The places we have known do not belong solely to the world of space in which we situate them for our greater convenience. They were only a thin slice among contiguous impressions which formed our life at that time; the memory of a certain image is but regret for a certain moment; and houses, roads, avenues are as fleeting, alas, as the years.

(Proust 444)

The joy that comes from a happy experience and the poignant inexpressible sense of lost time – the “regret for a certain moment – ” are inextricably bound together (Proust 444). When remembered through involuntary memory, an experience often elicits a particular kind of relieving comfort and contentment that can only be felt in light of loss and grief. An experience becomes more cherished and irreplaceable when one realizes that it is irrevocably gone forever. Therefore, temporality and the finitude of time cause an experience to become much more precious and powerful than it would be if it were timeless – for desire cannot be felt unless some form of lacking occurs, and true paradise cannot be relished without the sense that it is losable. The purest forms of happiness cannot be seen as eternal but must be seen as “fleeting, alas, as the years” (Proust 444). For Proust, loss intensifies longing, and the most cherished moments are almost always ephemeral.

As the narrator pursues the irrecoverable past, he describes several vivid encounters with involuntary memory that progressively bring him closer to his epiphany at the end of Swann’s Way. After the narrator dips a petite madeleine cookie into his tea early on in the novel, an unexpected influx of memories flood into his mind, and he is immediately transported to his childhood home in Combray, France, where his aunt Léonie would often treat him to the afternoon snack of tea-dipped madeleines:

I raised to my lips a spoonful of the tea in which I had soaked a morsel of the cake. No sooner had the warm liquid, and the crumbs with it, touched my palate than a shudder ran through my whole body, and I stopped, intent upon the extraordinary changes that were taking place. An exquisite pleasure had invaded my senses, but individual, detached, with no suggestion of its origin. And at once the vicissitudes of life had become indifferent to me, its disasters innocuous, its brevity illusory — this new sensation having had on me the effect which love has of filling me with a precious essence; or rather this essence was not in me, it was myself. I had ceased now to feel mediocre, accidental, mortal.

(Proust 58)

With every bite of the tea-soaked morsel, the narrator reaches the melancholic and nostalgic realization that he can never feel the joys of his youth again, his memories can never be recreated, and his childhood is forever gone, ensnared in lost time. He contemplates the tragic truth that the past no longer exists. His childhood can only be conjured through the “almost impalpable droplet, the immense edifice of memory,” which ensues rare and transitory involuntary memories. To compound his melancholia, involuntary memories, otherwise known as “Proustian memories” or “madeline moments,” evoke poignant sentiments of longing, sadness, and dissatisfaction; his childhood is a paradise irretrievably lost (Proust 68).

As Proust describes the emotional inner world of the narrator during the “madeleine moment,” he alludes to the nostalgia, disquiet, and despair that inevitably accompanies the awareness of our existence as fleeting. The ceaseless passing of time frequently causes us to romanticize our past, yearn for experiences that can never occur again, or even mourn moments that have never happened. Through the words of Proust: “the remembrance of things past is not necessarily the remembrance of things as they were,” and yet we continuously endeavor to recreate the past (Proust 323). Through conscious recollection, the narrator is only able to see brief and blurry snapshots of life; however, through sensory stimulation and unconscious remembrances, “the memory reveals itself,” to the narrator, and upon encountering the particular sensations that are associated with specific memories, traverses momentarily into the past (Proust 293). Although later on in the novel, he could no longer remember “why the recollection of such a trivial impression had given me so keen a happiness,” the “madeleine moment” had revealed something ineffable to him (Proust 80). Afterward, he had “ceased… to feel mediocre, contingent, mortal,” insulating that he experiences a short-lived encounter with eternity that will resemble his epiphany later on (Proust 78). For that brief moment, the narrator felt an eternal significance that transcended his existence; nonetheless, memory is only so powerful.

For Proust, involuntary memories are more akin to the true nature of an experience because they can access the subconscious or unconscious mind. Contrarily, voluntary memories intentionally use the reason to recall an event and are therefore unable to access the unconscious as involuntary memories can. Moments similar to the “madeleine moment” evoke nostalgia – an enigmatic emotion that derives from the realms of the unconscious mind and appears seemingly inexplicable and perplexing. Comparable to Virginia Woolf’s “moments of being,” “Proustian moments” amalgamate different remnants of time and space into one unified entity that flows endlessly and continuously. By synthesizing the physical senses and the unconscious mind, the past and present, and one’s memory and experience, a sublime state that can transcend chronological time emerges. Within this state, the narrator escapes the present moment and transfigures his temporal reality in an attempt to capture the distant past and discover himself. Unconscious memory enables him to shed light on and realize his identity, a process that resembles psychoanalysis or the method of dissecting one’s psyche to reveal one’s identity. Memory opens the mind up to introspection and thus allows one to access long-past recollections and forgotten consciousnesses to bring them forth, decipher them, and uncover oneself without the barrier of time as an obstacle. Thus, temporarily is an essential element of understanding consciousness. Past experiences infuse present perception; to understand one’s current perception, temporal confines must be transcended through memory and an exploration of the unconscious mind.

Rather than simply recounting the past, Proust sought to revive the past back to life by evoking the physical sensations that come with an experience. He writes, “we try to rediscover in things, now precious because of it, the glimmer that our soul projected on them…at times we convert all the forces of that soul into cunning, into magnificence, in order to have an effect on people who are outside us, as we are well aware, and whom we will never reach” (Proust 427). Swann’s Way thus recovers time by evoking seemingly insignificant and accidental occurrences to heal and remember lost realities; for instance, dipping a madeleine in tea prompts his childhood to emerge and become discernible. Swann’s Way shifts back and forth through time, traversing from the narrator’s childhood at Combray back to Swann’s tragic love story years earlier and then forward to the narrator’s past childhood, and yet, makes few explicit references to time itself, indicating that the experiences seem to occur separately from time itself.

Memory is a site that transcends the “qualitative multiplicity” of Bergsonian temporality. For instance, in the “madeleine moment”, memory found its expression in feelings of nostalgia: 

When from a long-distant past nothing subsists, after the people are dead, after the things are broken and scattered, still, alone, more fragile, but with more vitality, more unsubstantial, more persistent, more faithful, the smell and taste of things remain poised a long time, like souls, ready to remind us, waiting and hoping for their moment, amid the ruins of all the rest; and bear unfaltering, in the tiny and almost impalpable drop of their essence, the vast structure of recollection.

(Proust, 61)

Proust describes the narrator’s nostalgia as a sentiment of loss and longing for a moment that no longer exists or has never existed. Nostalgia, the feeling that accompanies Proustian memories, transcends into a different temporal dimension that concurs with Bergsonian time – a temporality that encumbers the past, present, and future into a single continuity rather than a series of distinct temporal points. For this reason, nostalgia feels like a yearning to escape the conventional confines of time and space and deny the common conception of time as a linear construct. By engendering nostalgia, Proust alludes to the Bergsonian philosophy of time and uses the narrative framework of Swann’s Way to express the notion that the fragments of time are interchangeable and invariably intermingled.

The conventional understanding of time adopts a three-dimensional perspective that assumes an object can exist in a single, individual instant – the “present,” the “past,” or the “future.” However, in Bergosnian philosophy and in Swann’s Way, the existence of an object does not depend on its temporal position at a specific instant. In traditional notions of time, an object only wholly exists at a singular temporal point. In contrast, for Proust and Bergson, the object comprises multitudinous temporal parts that coexist in endless, pulsating flux. The succession of time is not a transition from one temporal state to another but instead is more akin to a constantly flowing temporal river of fluctuating, continuous movements. The river of time expressed in Bergsonian philosophy and in Swann’s Way is known as duration (la durée): “there is no essential difference between passing from one state to another and persisting in the same state,” as “the truth is that we change without ceasing, and that the state itself is nothing but change” (Bergson 233). Bergson refers to the true nature of time – duration – as a spectrum of changing and evolving fragments that have no beginning or end and continuously juxtapose.

Recalling his childhood at Combray, the narrator of Swann’s Way describes the church as “an edifice occupying, so to speak, a four dimensional space – the name of the fourth being Time,” and later, he also compares the participants of the Guermantes matinee to “giants immersed in time” (Proust). Similar to the lack of linear temporality expressed through the timeless plot structure in Swann’s Way, Bergson believes that there is no difference between before and after or the past and present; rather, the past coexists with the present in duration. The flow of duration is ceaseless, timeless, and cannot be destroyed; the past, which exists in duration, is eternal. The past is “continually swelling with the duration that it accumulates; it goes on increasing—rolling upon itself, as a snowball on the snow,” and we carry it alongside us due to its ceaseless nature (Bergson 255). The past, therefore, clings to us and inevitably shapes our fate at every moment.

At the start of Swann’s Way, Proust evokes the Bergsonian non-linear concept of duration as time:

When a man is asleep, he has in a circle round him the chain of the hours, the sequence of the years, the order of the heavenly host. Instinctively, when he awakes, he looks to these, and in an instant reads off his own position on the earth’s surface and the amount of time that has elapsed during his slumbers; but this ordered procession is apt to grow confused, and to break its ranks. Suppose that, towards morning, after a night of insomnia, sleep descends upon him while he is reading, in quite a different position from that in which he normally goes to sleep, he has only to lift his arm to arrest the sun and turn it back in its course, and, at the moment of waking, he will have no idea of the time, but will conclude that he has just gone to bed. Or suppose that he gets drowsy in some even more abnormal position; sitting in an armchair, say, after dinner: then the world will fall topsy-turvy from its orbit, the magic chair will carry him at full speed through time and space, and when he opens his eyes again he will imagine that he went to sleep months earlier and in some far distant country.

(Proust, 3)

In this passage, Proust explores the psychological and emotional dimensions of time. This concept exists at the core of duration, which claims that temporality possesses a psychological plane as well as a chronological plane, “pure duration is the form which the succession of our conscious states assumes when our ego lets itself live, when it refrains from separating its present state from its former states” (Bergson 129). Apart from being measured chronologically, time can be measured by the evolution of the human consciousness, such as the time that passes in the dream described by the narrator in the passage above, which invokes Bergsonian qualitative multiplicity and juxtaposes temporality with spatiality to convey the interconnectedness and fluidity of the two.

Throughout Swann’s Way, places are often depicted as vessels for transcending temporal confines and transforming time into eternity. Time and space are inextricably bound; Swann’s Way often endeavors to understand space to understand time. The entirety of “Combray” describes and explores the places of the narrator’s childhood as he seeks to recapture and understand the past. The idea that memory is closely related to spatial configurations is expressed throughout Swann’s Way; memories of a place constantly strike Marcel: “but then the memory—not yet of the place in which I was, but of various other places where I had lived and might now very possibly be—would come like a rope let down from heaven to draw me up” (Proust 5). Spatial surroundings often evoke sensations we felt in the past; for instance, the sight of a place can conjure up the past and engender nostalgia just like the taste of the madeleine did. Once the past is sparked through involuntary memory, the mind can traverse time and space and gain access to a “forgotten” or “unknown” place, moment, or memory, which causes that moment to acquire an eternal essence.

The novel searches for lost time in countless ways, searching through places, memories, sensations, dreams, and the reconceptualization of time itself. Sometimes, the past is captured for a fleeting moment, or a glimpse of eternity can be seen briefly. However, there is one method that surpasses all others and comes closest to capturing lost time and understanding the essence of existence – art. The human condition can be explored almost boundlessly through art, nearly capturing eternity itself. Out of all the ways to dissect oneself and interpret a conscious experience – a dream, memory, sensation, conscious recollection – art is the most eternal. For Proust, the limited structure of human consciousness allows us to experience and recall only one thought, one situation, or one view at a time. However, through art, we become close to limitless and acquire the potential to instantiate an infinite number of images and ideas; only through art can we reach infinity.

The limitations of memory are seen through “the terrible re-creative power of his memory” of Swann as he attempts to recreate his experiences with Odette in his mind (Proust 289). However, he realizes that his memories are too limited to capture the essence of the past truly; instead, he sees “motionless before that relieved happiness, a miserable figure who filled him with pity because he did not recognize him right away, and he had to lower his eyes so that no one would see that they were full of tears. It was himself” (Proust 394). Proust expresses the idea that memory will never come close to the true evocation of a lived experience:

For what we believe to be our love, our jealousy, is not one single passion, continuous, indivisible. They are composed of an infinity of successive loves, of different jealousies, which are ephemeral but by their uninterrupted multitude give the impression of continuity, the illusion of unity. The life of Swann’s love, the faithfulness of his jealousy, were formed of the death, the faithlessness, of numberless desires, numberless doubts…

(Proust, 422)

Despite the tragic limitations humans face attempting to make sense of the human condition – the experience and essence of existence – the limitless expression and communication that one finds through art is like a window to oneself. Art draws on memories, dreams, emotions, and experiences and then weaves them together all at once like a tapestry of lost time – an elusive kaleidoscope of one’s existence that nearly captures it. Art transcends reality to recreate it and, by doing so, breaks the barrier of consciousness between oneself as a subject and the real world. For instance, the narrator of Swann’s Way prefers reading to experiencing reality because art can transfigure experiences and transform them into moments far more eternal and divine.

When the artist transforms an experience, emotion, or memory, the reality of that experience, emotion, or memory becomes lost. However, by creating a different version of it, we can see all the elusive dimensions that are often veiled by human reality and consciousness; the experience acquires a meaning or beauty that it did not possess before. Some fragments of our existence can only be seen through an artistic lens, and some experiences can only truly be appreciated when they are recreated; loss engenders appreciation. After all, “true paradises are the paradises that we have lost,” and art is the loss of a paradise and its subsequent discovery. Only through art can we live more beautifully, experience paradise, and recapture lost time (Proust, Time Regained, 288). For Proust, the key to living is living through art; only then can one transcend the confines of the human condition to reach eternity and bliss. Although a moment may never truly be captured, even through art, the synergy between past experiences and creative imagination bestows upon us the extraordinary power to create moments ourselves, as if we are in control of our own fate. Proust embarked on his artistic journey searching for lost time and found something more meaningful along the way. Our existence may be momentary; lost time may forever be lost, but through art, we can transcend our fate, find pieces of eternity, and design our existence as if we were God himself. 

“To understand how paradoxical it is to seek in reality for the pictures that are stored in one’s memory, which must inevitably lose the charm that comes to them from memory itself and from their not being apprehended by the senses. The reality that I had known no longer existed. The places that we have known belong now only to the little world of space on which we map them for our own convenience. None of them was ever more than a thin slice, held between the contiguous impressions that composed our life at that time; remembrance of a particular form is but regret for a particular moment; and houses, roads, avenues are as fugitive, alas, as the years.”

Marcel Proust, Swann’s Way, p. 444

Works Cited

Bergson, Henri. Creative Evolution. London: Macmillan, 1911. Print.

Proust, Marcel. Swann’s Way. Trans. Lydia Davis. Ed. Christopher Prendergast. New York: Viking Penguin, 2003.

Proust, Marcel. Time Regained. Trans. A Major. London: Chatto and Windus. p. 228.